samedi 16 janvier 2016

Look up here, I'm in heaven…



Don't let me know when you're opening the door
Close me in the dark
Let me disappear
Soon there'll be nothing left of me
Nothing to release

D. Bowie.
Bring me the Disco King

Quelle semaine, ami lecteur. 
Lundi matin, je me suis réveillée assez tard, après avoir eu une des insomnies qui me sont plus que coutumières. 
Et comme d'habitude, j'ai préparé mon petit-déjeuner, et j'ai installé ma tablette, cette invention diabolique avec qui je le prends désormais (contrairement à un livre, ça tient tout droit derrière la tasse), et munie d'un café je suis allée voir sur twitter où je me suis créé deux comptes. Un pour sylvie-denis-l'auteur et un pour unpseudo-fandebowie. 
Où je suivais (et suis toujours) un tas de gens ayant plus ou moins un rapport avec lui, de Duncan Jones, son fils, à Crayontocrayon, quelqu'un que je ne connais pas et dont le compte consistait en blagues bowiennes et autres poèmes et bowiefolds, des photos pliées qui transformaient un type qui fut à certains moments de sa vie d'une beauté à tomber par terre en grotesque. 
Les fans de Bowie sont de drôles de gens. 
Il faut vous dire que je n'ai jamais eu que deux modes de relation avec lui : l'obsession et l'obsession. 
C'est Let's dance qui m'a transformée en fan, en 1983, au siècle dernier, l'année, accessoirement, de mes vingt ans. Let's Dance est cette chanson étrange, qui balance comme un ressort géant (Let's Dance, booiiing booinng boooinnnnng) et qui réunit les deux natures de Bowie dans son texte tellement étrange pour un tube planétaire :

 Let's Dance
Put on your red shoes and daaaaance the blues
To the song they're playing on the radio

Rouge chaud et bleu glacial. Solaire et lunaire.  "Its cold warmth made me a fan", ai-je dit sur twitter en réponse à une remarque de Nicholas Pegg, l'auteur de l'énorme The Complete David Bowie, qui a (vraiment !) approuvé. 
Il faut vous dire une chose : j'aime la musique, passionnément, mais j'ai eu du mal, étant jeune, à rentrer dans l'univers complexe du rock. Les jeunes gens sont des créatures péremptoires et fatigantes, qui vous excommunient pour un rien, et je n'ai jamais compris pourquoi, aimant Brel et Brassens, je ne pouvais aimer aussi  Boney M. (mais c'est pas du rock, c'est du disco ! ben et alors ???), et si j'aimais Boney M., pourquoi je ne pouvais pas aimer Supertramp ? Oui, mes horizons musicaux étaient ce qu'ils étaient, à l'époque. Chez moi, les disques se limitaient à une pile de quarante-cinq tours de variété française. Pour le reste, comme pour la SF, j'ai dû me débrouiller toute seule — avec l'aide de la radio. Les références à la radio abondent dans les textes de Bowie.

Et donc, si Let's Dance n'avait pas été un méga-tube, j'imagine que j'aurais continué à être vaguement consciente de David Bowie, sans plus : j'ai le souvenir (j'en ai parlé dans un billet précédent), d'avoir été hypnotisée lorsque j'ai entendu une chanson qui devait être Ziggy Stardust, dans ma chambre, sortant du petit poste rond et bleu qu'on m'avait offert pour mon entrée en sixième, je me revois également à la porte de la salle à manger familiale, en train de regarder un clip aux couleurs fluos : un type marche devant un bulldozer, sur une plage. Ashes to Ashes. Mais avec Let's Dance, on ne pouvait plus lui échapper, et j'ai plongé, passant tout un été à l'écouter et à imaginer d'improbables rencontres. 

Pour la première fois (et la seule) de ma vie, un chanteur m'a intéressée pas seulement pour son œuvre, mais pour lui-même. Sa vie, sa trajectoire. J'ai acheté des magazines, des journaux, des livres, vu The Hunger, traîné ma sœur voir Furyo, acheté tous les disques que j'ai pu. Et je l'ai suivi, de 1983 à aujourd'hui.
 J'ai vu le Glass Spider Tour à Lyon, toute seule parce qu'il n'y avait personne pour m'accompagner, et j'ai été déçue (trop grand,  trop artificiel, je ne me souviens que de Time à la fin et du retour à pied, d'un bout à l'autre de Lyon) et ensuite pendant les terribles années quatre-vingt, suivi avec Tin Machine, avec Outside, et Heathen et Hours et Reality. J'avais depuis longtemps décidé que je n'étais pas collectionneuse, que je ne chercherai pas les bootlegs, n'accumulerait pas les objets. Les disques, l'œuvre, la musique. Lorsqu'est arrivé internet, je n'ai pas pris d'abonnement à son site. J'étais fauchée et je ne voulais pas sombrer un peu plus dans l'obsession idiote. 
Et puis le temps a passé. Ma vie a basculé. 

Quand Roland parlait de mon obsession bowienne, c'était pour souligner que je possède un objet qui doit être devenu effectivement rare : un vynil souple qui accompagnait le numéro que Libération lyon (oui, il y a eu une édition lyonnaise de Libé) lui avait consacré. Je l'ai toujours, je pense, quelque part dans mes cartons. C'était aussi pour râler un peu. Je crois que ça agaçait son orgueil masculin. 
Je ne lui ai jamais dit qu'il n'avait rien à craindre, que Bowie n'avait aucun rapport avec ma relation avec lui. Bowie avait quelque chose à voir dans ma relation avec moi-même.

J'ai vu l'exposition David Bowie Is (quel titre !) fin avril de l'année dernière. Ce fut magique. Vous connaissez peut-être le "palais de la mémoire" de Sherlock Holmes, cette expo, c'était un peu comme une promenade dans l'esprit de Bowie — et bon sang, j'en ai fréquenté quelques-uns des esprits un peu bizarres, je veux dire, je lis de la sf depuis plus de trente ans, mais aucun n'a produit autant d'étrangeté linguistique en si peu de mots —; il y avait tout : le costume d'un bleu extraordinairement pâle de la vidéo de Space Oddity, les portraits de Mishima et d'Iggy, le story board des concerts de la tournée Diamond Dogs et du clip d'Ashes to Ashes, les textes écrits à la main des chansons, les clés de l'appartement à Berlin, la veste bricolée des tous débuts. Tout, je vous dis, ou presque. 
La dernière salle a eu raison de moi : les murs étaient aménagés en vitrines présentant certains des costumes de scène de l'époque Ziggy Stardust pendant que la musique sortait d'une sono à les faire trembler. L'espace d'un instant, on pouvait se croire transporté dans le passé d'un de ses concerts qu'on n'avais pas vus. 
J'ai oublié de parler d'une chose en évoquant Let's Dance : en m'intéressant à Bowie à ce moment-là, j'ai découvert tout ce qu'il avait fait avant. Quinze ans et plus de carrière, d'un coup. Ce type avait écrit ces chansons aux textes bizarres et aux musiques que j'adorais, certes, mais il n'était pas qu'un chanteur de plus : il y avait quelque chose derrière, toute une épaisseur qui s'enfonçait jusque dans les profondeurs insoupçonnées des années 70. 

C'est ainsi que j'ai découvert que l'on peut éprouver une nostalgie profonde pour une époque que l'on a pas connue — parce qu'on ne l'a pas connue. Parce qu'on est toujours né trop tard. Le monde du début de la carrière de Bowie était meilleur que celui de ma jeunesse. Ziggy était si jeune, et si plein de promesses : pas seulement celle d'un brouillage définitif des codes de l'identité sexuelle, mais de ceux de la société tout court. Il était l'enfant d'une époque où l'espace faisait encore partie du futur, ou Dieu était vraiment en train de mourir de sa belle mort et où le progrès  technique apportait autre chose que la certitude que nous ne saurons pas prendre en main notre destin. 
Après avoir vu l'expo, j'ai acheté le catalogue et replongé dans mon obsession, exactement comme vingt ans auparavant, mais avec internet. Ressorti mes vieux bouquins, acheté des nouveaux, regardé à peu près tout (ça prend du temps, mais je travaille chez moi et je vis seule…) ce qu'on pouvait trouver sur youtube : les concerts, les interviews, les émissions de télé, même les entretiens insupportables avec Michel Drucker et Mourousi. J'ai découvert Pushing ahead of the Dame, un blog consacré à toute l'œuvre de Bowie, chanson par chanson. Une mine, allez-y si vous lisez l'anglais.
Pendant l'été, j'ai appris que Bowie travaillait sur une comédie musicale, Lazarus, qui débuterait en novembre. Puis qu'un album était prévu, comme le précédent, pour son anniversaire, le 8 janvier.  Je n'avais pas profité de sa sortie : pas cette fois. 
Pendant trois mois, j'ai passé une bonne partie de mon temps sur internet à traquer les articles et les tweets annonçant qui jouait dans la pièce, quels morceaux on y retrouverait, qui était impliqué dans la mise en scène et la production. J'ai même été regarder combien me coûterait une balade à New York. Après tout, je n'y suis jamais allée, à New York. Mais bon, aller à New York voir une pièce alors que ce que j'aurais voulu, c'est voir Bowie sur scène, dans une salle de taille normale…
Tout cela, bien entendu, découlait du fait que le bonhomme, depuis une crise cardiaque qui avait interrompu sa tournée en 2004 était devenu plus ou moins invisible. Une apparition avec David Gilmour, un rôle dans une série, des photos avec Iman sur des tapis rouges, et c'était tout. Plus d'interview, plus de concerts, plus rien. Au point que je me souviens m'être vaguement demandée, au cours des années 2000, ce qu'il devenait, et avoir conclu, après enquête, comme tout le monde, que si les rumeurs de mauvaise santé étaient fausses, et bien c'était qu'il vivait peinardement sa vie à New York. 
Voilà comment, pendant la semaine précédent le 8 janvier, j'ai téléchargé une captation de Lazarus et téléchargé  Blackstar — j'avais de toute façon déjà commandé le vinyl. Le jour où le compte à rebours a touché à sa fin, j'ai regardé la vidéo du titre Blackstar comme on regarde la dernière œuvre d'un ami qui n'a rien sorti de longue date : en frémissant, en ayant peur, en ayant le trac, en souhaitant qu'il ait réussi son coup, que la magie et la musique soient au rendez-vous. 
Elles l'étaient. Pendant les semaines précédant le 8 janvier, la presse musicale, que je n'ai jamais lue et ne lis toujours pas, sortit des articles plus qu'élogieux. Sur twitter, Duncan Jones a souhaité bonne chance à son père et les gens, unanimes, ont dit qu'il n'en avait pas besoin.
Et pendant trois jours, du vendredi où j'ai reçu mon disque, au lundi matin, j'ai cru que quelque chose commençait. Une nouvelle époque, un nouveau Bowie. Chris O'Leary allait avoir de la matière pour son blog. Je participerai, j'avais déjà pris des notes. Il y aurait un Blackstar extra comme pour The Next Day. Peut-être des photos. Une interview, qui sait. Bon sang, il était tellement bon en interview. Tony Visconti, sur twitter, était d'accord avec moi : il n'avait pas besoin de faire une tournée, juste un concert diffusé sur le net. 
J'y ai vraiment cru.  J'ai vu les photos sur lesquelles il était manifestement fatigué. Mais bon, 69 ans, quoi. J'ai vu le clip de Lazarus, avec son Bowie sur un lit d'hôpital, les yeux bandés "Look up here I'm in heaven". Je n'ai rien pigé. Après tout, Bowie et la mort, c'était un thème comme un autre, et il l'avait déjà abordé. Sauf que, bien entendu, nous ne savions pas tout. 
Ce n'était pas un commencement, c'était une fin et l'univers, en ce lundi matin, m'a collé une baffe dans la gueule. 
Tout à coup, un disque entier a changé de sens, pas seulement pour moi, pour des milliers de gens sur la planète, et moi qui ne suis vraiment pas douée pour les trucs de groupes, j'ai partagé quelque chose avec eux. 


"So where are we now, all the little Bowie-ettes and Bowie-ologists whose souls were so gloriously stolen by nothing more than charm and talent and the forward-thrown lightning bolts of sheer heart-swallowing possibility? Well, we’re in a world made brighter than it ever dared be. Look at how grey and gloomy and awful Britain was in the 1970s, and then look at those Bowie lightning bolts, and imagine how inspirational they must have been to us! This was — incarnated in one frail and faggy yet utterly masculine person — a way to live, and be, in a form of supple, smooth gloriousness. Every dancer you ever wanted to be, every singer, every actor, every lover."

C'est ce que dit Momus, musicien et auteur découvert ces derniers mois. Où en suis-je ? 
Je ne peux plus écouter Blackstar sans être envahie par une tristesse absolument pas raisonnable pour quelqu'un qui dans ma vie, n'étais après tout que des disques et des films. Je ne peux plus imaginer qu'il est dans son luxueux appartement de Lafayette Street, en train de regarder les articles et les chiffres de ventes de son disque. Souriant de ce sourire si parfaitement charmeur. Content. J'aimais bien penser qu'il était content. 
Je me disais, avant, que David Bowie n'était pas une personne, mais une histoire, une performance et un métatexte incluant à peu près toutes les formes  d'expression du 20ème siècle, du mime au cinéma, à la chanson et jusqu'au jeu vidéo.
Il était ce que décrit la phrase du grand poète américain  Walt Whitman : "Do I contradict myself, very well then, I am large, I contain multitudes." 
Tous les auteurs pourraient dire cela, mais combien sont capables de le vivre ?
Glacial et incandescent,  intuitif et intelligent, calculateur et spontané, populaire et avant-gardiste, protéiforme et inchangé, solaire et lunaire. Vivant.

Certains ont eu des soupçons quant aux circonstances de sa mort,  nourries par la coïncidence temporelle et le message de Tony Visconti qui disait que sa mort était comme sa vie, une œuvre d'art. Je préfère imaginer qu'il avait épuisé toutes ses forces dans la création de cet album dont il voulait qu'il SOIT, pas qu'il soit le dernier.

Notre perception du temps nous pousse à croire que le gouffre qui nous sépare de la seconde qui vient de s'écouler est moins grand que celui qui nous sépare de l'heure, du jour, du mois ou du siècle dernier. Mais c'est une illusion. Le gouffre est le même. À chaque instant qui passe, l'univers entier disparait.
Mais tant que Bowie était vivant, il était le fil qui me reliait à son passé, à sa vie protéiforme et à sa musique. À une certaine idée du futur. "New music soon." avait-il dit cet été, message à un événement caritatif organisé par des fans en Angleterre. Il n'est plus là et il n'y aura plus de musique (ou si peu), plus de nouvelle transformation, plus de renaissance.

Pendant trente ans, avec des hauts et des bas, j'ai pensé à l'époque de Ziggy comme à l'âge d'or que j'avais raté. Nous en avons tous un. Le mien ruisselait de paillettes, de gloire et de guitares ; au paradis du rock n'roll et de l'artifice, une divinité androgyne affirmait qu'on pouvait exister au-delà des contraintes de la vie sociale, au delà de l'ennui et du quotidien. 
Elle disait que l'art nous sauve, pauvres petits animaux humains que la vie rend si vite mesquins, violents et durs, et je voulais le croire. L'art nous sauve et nous relie. Il l'avait bien sauvé, lui, et lié à des millions de personnes sur la planète.
"Tous les danseurs que vous avez voulu être, dit Momus, tous les chanteurs, tous les acteurs, tous les amants."
Tous les écrivains.









samedi 12 décembre 2015

Proust en bouteille



Noël approche, ami lecteur, même si tant que que je peux sortir de chez moi sans écharpe, bonnet et surtout gants, j'ai du mal à y croire. Heureusement, la presse écrite se charge de tout : découverte ce lundi en allant me faire faire une prise de sang, cette pub délicieuse pour des shampoings. Mieux que toutes les odeurs de vrai sapin, de guirlandes électriques et de chocolat : le shampoing au parfum d'enfance et de "bonheurs partagés en famille", dont font partie, vous noterez bien, la guimauve, le pain d'épice et le cola. Enfoncé notre bon Marcel et sa madeleine. Nous vivons en des temps modernes et la chimie est au service de vos neurones. Besoin de retrouver vos souvenirs enfuis ? Pas de panique, allez donc faire vos courses et achetez une bouteille du temps jadis. Moi qui pensait qu'on avait atteint le summum de la synthèse avec le chocolat goût crème brulée, la crème au spéculoos et (pas encore inventé, mais ça ne saurait tarder), le spéculoos saveur caramel salé. Et ben non. On a mieux : la douche aux effluves du passé, le bain d'enfance pour le prix d'une bouteille de mousse. Dans cinquante ans ils vendront des bonbons parfum bains de votre enfance et Proust pourra se retourner dans sa tombe. Ou pas. 

dimanche 22 novembre 2015

Vous êtes 36 !

… à avoir téléchargé le texte que j'ai mis en ligne  sur Smashwords pour mon anniversaire — merci ! 

Pour les retardataires, je viens de rajouter un joli petit widget, oui, là, en haut à droite. Normalement, on clique et ça marche. 

Sinon, il y a 42, une antho dirigée par Jeanne-A Debats, où je suis en compagnie plus que bonne, avec une préface de Gérard Klein et une autre de Xavier Mauméjean, et des textes de Nicolas Barret, Bertrand Bonnet, Anthony Boulanger, Simon Bréan, Sylvain Chambon, Olivier Cotte, Magali Couzigou, Michel Féret, Olivier Gechter, Nathael Hansen, Sylvie Lainé, Anne Larue, Timothée Rey, Matthieu Walraet.

Une partie d'entre nous étions aux Utopiales à Nantes, vous pouvez écouter ou podcaster la table ronde enregistrée par les bons soins d'Actu SF ici

samedi 19 septembre 2015

L'interview du cerveau, en exclusivité mondiale.

She asked for my love and I gave her a dangerous mind.
David Bowie, Scary Monsters, 1980.



When I'm just in my own mind, it's a dangerous neighborhood.
David Bowie, interview, 1997.


Moi : Bon, cerveau, cette fois-ci, ça ne rigole plus, l'idée te (nous) trotte dans la tête depuis deux mois, on va se la faire, cette interview.
Cerveau : Ben c'est comme tu veux, c'est vrai que ça fait un moment que tu y penses, depuis que quelqu'un s'était fait un trip semblable sur facebook cet été. Tu t'es dit : ah, je suis pas la seule à parler avec mon cerveau, cool !
Moi : Oui, mais comme d'habitude, je réfléchis des plombes avant de faire quelque chose, même un billet de blog pour blaguer, c'est pénible, cerveau, tu es pénible, en fait.
Cerveau : Je fais ce que je peux.
Moi : Tu rigoles, j'espère ? Tu es le tas de neurones le moins fiable de la galaxie. Cet été, il faisait chaud,  tu ramais, t'avais des excuses, mais là, en septembre, c'est quoi ton explication ? Parce qu'entre le mal de crâne et le fonctionnement aléatoire, on peut pas dire que je sois satisfaite de toi.
Cerveau : Alors le mal de crâne, si la médecine déclare forfait, c'est pas moi qui vais faire mieux. Je suis un cerveau normal de femme adulte ayant dépassé la cinquantaine en relativement bon état mais pas flambant neuf non plus. En plus, j'ai pris un coup sur la calebasse il y a trois ans et depuis…
Moi : Oui, bon, ça va, je suis au courant. C'est pour ça que je me dis qu'une petite interview ça peut peut-être aider. Genre mini-thérapie, mettre les choses à plat, voir où on en est.
Cerveau : Et donc, en fait, c'est quoi le problème ?
Moi : (soupir). Le problème, mec, c'est que t'es en boucle sur Bowie depuis que j'ai vue l'expo en mai, et que je fatigue. Je savais que je courais un risque de te remettre dans ce genre d'état mais je pensais pas que ça serait aussi grave.
Cerveau : Ben pourtant, tu sais bien que c'est pour ça que tu as été super prudente pendant des années : pas de surf de Star Wars ni de Bowie, jamais jamais jamais, parce que c'est des puits sans fond et que tu (enfin, je) plonge dans des spirales de recherche de la moindre connerie insignifiante…
Moi : Ce qui me donne l'impression d'être un rat dans une expérience sur la cocaïne. Tu sais, celles où la bestiole n'arrête pas de s'injecter du produit au lieu de bouffer et de faire des trucs normaux de bestiole et en crève. C'est fatiguant. D'autant plus que vois-tu, cerveau, j'ai d'autres choses à faire, comme des bouquins à traduire (pour manger) et un roman à écrire (parce que c'est comme ça), et ça serait pratique si tu voulais bien me dégager de l'espace pour effectuer des tâches importantes au lieu de me fourrer dans un état de mélancolie ridicule parce que je ne suis pas née à temps (et pas au bon endroit) pour voir Ziggy en concert.
Cerveau : Ben, j'essaie. Là, par exemple, tu es en train d'écrire un billet de blog sur le bazar invraisemblable qui règne dans tes intérieurs pensants en espérant que ça va les mettre dans l'ordre et (allez savoir) éclairer tes contemporains par-dessus le marché.
Moi : Voui. Ça fait juste presque quarante ans que je fais ça, écrire des trucs, et j'ai pas l'impression que ça ait changé grand-chose. En fait, le premier exemple de mise en boucle dont je me souviens, ça doit être en fin de sixième. Tu te souviens ?
Cerveau : (regarde en l'air et sifflote).
Moi : Les tags du prétérit. Oui, les trucs en did et didn't. Le prof nous a fait ça à la fin de l'année, et le putain de truc m'est resté en tête pendant je ne sais combien de temps. Pendant les grandes vacances !  J'avais des did et des didn't qui se déclenchaient tous seuls et que je n'arrivais pas à arrêter. C'était chiant, cerveau.
Cerveau : Mais bon, tu as fini par les avoir, les tags fous, non?
Moi : C'était y'a longtemps, mon vieux, mais il me semble que oui, je me rappelle que j'ai fini par réussir  à t'empêcher de réciter de l'anglais dans ma tête à tout bout de champ. Mais là, le truc, c'est qu'il faudrait que tu arrêtes de me lancer sur le net à la recherche de bouts de 1977 parce que je dois d'abord finir ce bouquin, et après, je pourrais écrire une novella où je collerai toutes ces infos inutiles que je ramasse en traînant sur le net. Parce que le roman, tu vois, il parait qu'il y a des gens qui l'attendent, et ça fait déjà un moment que je suis dessus et j'aimerais juste le finir et passer à autre chose, comme les gens normaux, au lieu de supporter tes caprices de diva.
Cerveau : Eh, c'est pas ma faute à moi si tu fonctionnes par associations et dérives et pas de manière logique et rationnelle. C'est un peu ce qui te permet d'avoir des idées de textes, si tu vois ce que je veux dire.
Moi : Je ne le vois que trop bien, hélas. J'ai tout un tas de bouts de projets que je traîne depuis des années et que je ne finis pas parce que passé l'enthousiasme de la naissance des idée, je m'emmerde et ça va pas plus loin. (Bowie aussi, faudrait faire une compil des interviews où il parle de projets dont on a jamais rien vu, mais bon, au cas où t'aurais pas remarqué, il a pondu un certain nombre d'album, lui.) C'est très chiant. Et je pourrais avoir des idées sans avoir aussi des bouts de chansons de Bowie qui se déclenchent dans ma tête tout le temps, tu vois. Surtout que je chante faux et je ne joue d'aucun instrument. C'est carrément nul.
Cerveau : Oui, bon, ok, on va essayer d'arranger ça. D'un autre côté, si tu arrêtais d'écouter lesdites chansons, ça éviterait de me les remettre en mémoire. Parce que je suis un vieux machin : les vieilles connexions sont les plus solides.
Moi : Ben il semblerait qu'écouter Bowie ait un effet calmant sur le merdier existentiel qui est le tien en ce moment, cerveau. On fait ce qu'on peut avec ce qu'on a.
Cerveau : À qui le dis-tu !
Moi : Je vois. Il est peut-être temps que je te lâche, hein ? Je me dis que je te ferais bien une interview comme ça par mois, ça serait peut-être intéressant.
Cerveau : Ou pas. Tu nous connais : on est pas foutus de savoir ce qui nous intéressera dans un mois, et encore moins de rester concentrés dessus, alors on va pas s'engager sur un truc qu'on tiendra pas.
Moi : C'est pas sérieux. On est vieilles, bon sang, on a de l'expérience. On devrait arriver à avoir de la constance et de la discipline et à bosser de manière rationnelle et planifiée.
Cerveau : Mouahahahah.
Moi : Oui. Bon. Cerveau, je suis à la fin de mon billet et j'ai pas de chute, tu peux pas m'en filer une, non ?
Cerveau : Comment veux-tu, tu es partie dans ce billet sans plan ni rien !
Moi : C'est vrai. Bon. Je vais nous faire un thé et jeter un œil au bouquin, alors.
Cerveau : Ne viens pas te plaindre si tu ne dors toujours pas à quatre heures du mat.
Moi : Une infusion ? On a de quoi faire des infusions ?
Cerveau : Ch'ais plus. Va voir dans le placard.

dimanche 6 septembre 2015

Downton Abbey, première saison

On ne peut pas faire plus réconfortant, comme série.
Ça se passe avant la guerre de 14, dans une famille de l'aristocratie anglaise, confrontée à un imbroglio d'héritage de titre et de succession dont les subtilités m'échappent encore (j'ai dû zapper les moments explicatifs et j'ai la flemme de revenir en arrière). Et donc, il y a une demeure familiale, avec les parents, l'hallucinante grand-mère bornée (mais qui a le sens de la répartie), les trois sœurs qui se déchirent, le père qui est le brave type de la famille et les domestiques qui vivent leur vie au sous-sol de l'existence. Les riches sont riches, les pauvres sont pauvres, les sœurs doivent se marier, l'héritage divise et révèle, et l'Histoire avance à grands-pas sous le regard amusé du spectateur moderne, qui sait que le téléphone et la guerre sont au détour du chemin.
Il n'y a tellement rien de surprenant qu'on est ravi de revenir dans ce monde, épisode après épisode : les aristocrates ont leurs problèmes, ce sont des êtres humains, prisonniers de leur milieu et de leur temps, comme tous les êtres humains depuis le début des temps. Les femmes ont des combats simples à mener : le  mariage, les interdits de la haute société, le poids des conventions. C'est insupportable et c'est infiniment rassurant. Comme dans "Le club des poètes disparus", où les archaïsmes contre lesquels se bat le personnage principal sont des archaïsmes d'autrefois, passés, vaincus (qui, de nos jours, en tant que femme, doit se marier pour de sombres histoires d'héritage et de titre et protéger sa réputation des ragots ?), avec les poètes disparus les élèves modernes se sentaient merveilleusement oppressés par une bêtise franche et massive qui n'avait rien à voir avec leur vraie vie, et dans Dowton Abbey, les jeunes filles qui veulent vivre et les domestiques qui veulent sortir de leur condition se heurtent à des murs d'archaïsmes épais, et triomphent — parce que, avec le temps, les choses changent, quoi qu'on fasse et quoiqu'on en dise, et le spectateur moderne est ravi de pouvoir revivre ces combats d'autrefois, d'avoir l'impression de se battre et de triompher, alors qu'il n'a rien fait, sinon rester assis sur son sofa et vivre les victoires des personnages par procuration.
Et comme les acteurs sont excellents, on marche, en se disant qu'on marche pour des ficelles grosses comme des câbles transatlantiques, mais qu'est-ce que ça peut faire ? Les robes sont belles, la vieille comtesse a peur de l'électricité, le majordome apprend à se servir du téléphone, on sent la guerre venir, on sait qu'il y aura des tragédies,  et des morts, et la fin d'un monde, mais c'est le passé, bien des problèmes ont été résolus et de toute façon, aucun de ces gens n'a jamais eu à se préoccuper de photos d'enfants morts sur des plages ou de fanatiques destructeurs.
C'est vraiment merveilleux, les séries historiques, où tous les combats et toutes les questions ont déjà trouvé une réponse et où tout est délicieusement exotique et désuet — y compris l'injustice du monde.

mardi 1 septembre 2015

Loving the alien

(((Just in case you're wondering : yes, I believe there's a Bowie quote for absolutely everything, and yes, this is one of the worst videos he's ever done, and apart from this line "believing the strangest things, loving the alien" the lyrics aren't very good either.)))

But I've read a couple of books about aliens, so the title is perfect.

In 1996, in Cyberdreams, I published a short-story by Ian MacDonald called Frooks. It was precisely about that thing : the allure of the alien, people who where sexually attracted to the extra-terrestrials who had come to Earth, and who dressed up as aliens, thus misleading other poor souls like the story's narrator. I loved this short-story : it inhabited, in literary form, the same territory Ziggy Stardust inhabited in musical and aesthetic terms : the appeal of the strange and nonconformist, expressed by drag queens, campy rock n' rollers and pulpy books with lurid covers.

This is what Yesterday's Kin, by Nancy Kress is about : family and alienness and the way the two interact and mess up people's lives. It's a novella and a 2014 Locus Award and Nebula winner.
Marianne is a geneticist, with three adult children, with whom she has difficulty communicating, but who hasn't ? She has just published an important article in Nature when
aliens arrive on Earth and plonk a ship in the middle of New York. They want Marianne to meet them, with other important people. It turns out that the aliens are not so alien : they're humans, abducted from earth in the past and who have evolved on a different planet. They've come to Earth because they know a cloud of spores is approaching : if nothing is done, it will wipe out humanity.
So all the scientists  get to work like mad to try and identify the virus and find a cure, although they know it's almost useless, while the alien invite all the people who belong to their long lost mitochondrial line to join them — and Nathan, Marianne's strange misfit son, learns he was in fact adopted. And finds out that he feels mysteriously at ease and confortable with the aliens. He has found a family whose strange appearance and even stranger customs do not weird him out, on the contrary — the only thing I find slightly disturbing about it is that he feels attracted to his genetic family in a way which isn't explained, scientifically or otherwise. (He stops changing personalities because of a drug he takes, but I don't remember if we're told why, and that's a bit frustrating, even if I didn't think about it when I was reading.)

After reading this (really good, by the way, the quibbles are just that, quibbles) novella, I couldn't help but wonder why we SF people love so much to read about alien customs, when we are, very often, completely put off by real, human social conventions. I know I am. Celebrations. Marriages. Rituals. Customs. There must be something phobic in it, or I wouldn't avoid them that much. But reading about extraterrestrials, or faraway cultures ? No problem.
Thus, this summer, I also read  Starship Seasons, by Eric Brown.
He is one of my favorite English writers, I've been reading him since he began publishing in Interzone — I just slowed down a bit these last ten years, and now I have a lot of stuff to go back to. So, Starship Seasons, which is four novellas taking place on the backwater planet Chalcedony, Delta Pavonis. The principal character is David Conway, who has taken refuge there after the death of this daughter and the end of his marriage.
And he finds a new family, in the form of three friends. And they have adventures (sort of), with aliens.

(A necessary aside : this winter, I had to deliberately, forcefully decide I wouldn't watch the reruns of Friends on tv. There's nothing worse, really, than watching these funny tv shows, which are completely depressing, being what lonely people watch when they come home from work. Tv shows that must be deliberately made for them, as an audience :  otherwise, why would they be about groups of people being friends and having adventures, not a stupid normal life like you and me ? So, I though there was nothing more awful and depressing than to watch Friends while eating, so I decided not to watch it, even if it is funny— and ended up watching reruns of Stargate. Sigh. Anyway, now I have Netflix.)

So what happens to David Conway in those four novellas is that he meets the alien, and loves it, and is changed by it. The world should be changed to, and it is, but Eric Brown doesn't do what is usually expected of SF writers : extrapolate a whole load of situations out of  an idea, what he does, is make the characters evolve and that's so well done even I forgive the not extrapolating thing.
So, in Starship Summer,  David Conway go to a scrapyard and buy a spaceship which he turns into a house. No kidding. A spaceship on the beach, travel without the hassle. He even gets visits by aliens from the past and gets to travel to the Golden Column, which turns out to be this new means of travelling in space. Which is sort of better than what the civilisation have already, except Eric Brown is clearly not interested in developping this, the point is that the alien gives you beauty (the Column) and the knowledge that you can travel, if you want. And being the fist novella, we are introduced to the other characters : Hawk, seller of derelict ships, Maddie, a strange woman and Matt, a crystal artist. In Fall, a former holo star comes to Chalcedony, has an affair with Conway (who is famous after the discovery of the first story, but not too famous) and uses him and the local alien Ashentay to settle accounts with the past. The Ashentay have a ceremony called "smoking the bones", in which they use a drug to obtain glimpses of the future — some don't survive it. But again, embracing the alien gives answers to those who are bold enough to embrace it, even if they are hard earned. Conway thinks he has found love but it was a trap, and his friend's alien girlfriend survives the bones' ceremony, while we learn something about his ex-pilot friend. In the next novella, Winter, it is the artist Matt who has travelled the galaxy (Conway's friends travel, not him, he stays on the beach in his spaceship house and drinks beer with them when they come back, this guy has the best life, I tell you !) and who has come back with special stones which he uses to make works of art. Things get complicated when a rival turns out to have tried a kind of telepathic theft of the alien stones. But in the end, wisdom is acquired by everybody who has come into contact with the stones. And in the last story we see Conway in a successful relationship while we learn more about the aliens of Chalcedony.

None of this, I realize, conveys the reason why this book is such a pleasure to read : the engaging characters, the beautifully evoked planet, the wonderful weirdness of the aliens and their various artifacts,  the quiet perfect life of a group of people who have drinks and adventures while looking at en alien seaside, and above all the warmth of true friendship.
Much, much better than watching reruns of Friends on tv.





mercredi 5 août 2015

On ne serait pas partis en vacances‪.‬
Pas plus que les autres années‪.‬
On aurait pas eu les sous mais on n'a jamais fait beaucoup d'efforts pour avoir des sous‪.‬
Pas le genre d'effort qui dure , le genre o‪ù‬ tu te lèves tôt le matin jour après jour pour t'habiller en costume et supporter des cons toute la journée‪. 
Tu détestais les chemises et les boutons (souvenirs d'enfance, photos de petit garçon endimanché. Revanche sous forme de t-shirts jusqu'au bout.)
J'ai jamais été ni douée, ni motivée pour le repassage‪, le ménage et toutes ces conneries utiles qui font les bonnes maîtresses de maison.

Ton bureau était un foutoir (le mien aussi, mais pas le même).
On ne serait pas partis en vacances parce que tu ne savais ni faire le touriste, ni te "reposer". Tu ne savais que faire ce qui t'intéressait, et ce n'est pas sur une plage qu'on peut classer sa bibliothèque itunes par année et écouter le résultat en bossant.

Alors on aurait passé l'été à Cognac, et la maison, bien située, serait restée fraîche en dépit de la chaleur.
J'aurais sorti le hamac quand même, parce que bon, si on part pas en vacances, on à droit à un hamac dans le jardin, faut pas déconner.
Fin juin ou à peu près, tu aurais sorti la table Ikea qui se déplie de la cuisine et tu l'aurais installée sous la véranda. Tu t'y serais installé pour prendre le petit-dèje (enfin, le café, tu ne mangeais pas le matin) écrire, ou pour fumer, ou pour lire le journal. En fin d'après midi, tu m'aurais lu le Canard Enchainé parlant de la Grèce. Je n'ai jamais lu le Canard enchainé avant qu'on vive ensemble. Trop paresseuse, trop agacée par la marche quotidienne de la politique. Je ne l'achète plus du tout.
J. serait passé et vous auriez fumé ou bu une bière et parlé de musique. Il aurait eu des projets et aurait trouvé le moyen de te faire sortir de la maison pour aller chanter des trucs chez lui. On aurait été voir la gigantesque expo dans les chais. Été au vernissage, bu du Cognac avec des inconnus bien habillés, la face bourge et chicos de la ville. On aurait été contents pour J. Le Cognac aurait été bon mais pas aussi extraordinaire que la bouteille ramenée de Jonzac par M. après qu'il ait été invité à un salon.
On aurait été faire un tour au festival de Blues, qui n'a plus grand chose à voir avec le blues mais quelques groupes plus que sympas dans le parc de la mairie, l'après-midi, assis sur l'herbe au milieu des touristes et des guitares, pourquoi pas ?
On aurait été boire l'apéro chez P., ou le contraire. M. serait passée en coup de vent depuis chez ses parents dans le département d'à côté. L., lui aussi en vacances dans la région, serait venu manger. On aurait utilisé ce chouette barbecue en dur au fond du jardin‪,‬ celui qu‪i n'a jamais servi qu‪'‬une ou deux fois par an‪,‬ en fait‪.‬ On attendrait que Natacha descende en vacances. Tu serais fier comme dix Artaban qu'elle ait été admise en Master à Science-Po. On aurait été au restau pour fêter ça. Peut-être pas au Sarment Brûlant. Peut-être au restau indien, ou carrément au truc chicos et cher dont le nom m'échappe.
Rien n'aurait changé.
Perle s'allongerait sous la jardinière en plastique vert suspendue contre le mur du jardin, à l'ombre, sous le chèvrefeuille. Quand je me serais installée dans le hamac avec un bouquin, elle viendrait me rejoindre et se frotterait sur les cordes en se tortillant comme un jeune chat.
Le soir venu, les hirondelles voleraient haut dans le ciel et les chauves-souris frôleraient le haut des arbres.
Nestor et Athéna partiraient en patrouille sur les toits.
L'altéa ferait des fleurs rose pâle au cœur entre le fushia et le violet qui tomberaient et que l'on balayerait tout l'été‪.‬ Il pousserait des tomates folles sous les fenêtres de la cuisine. Tu t'inquièterais de la chaleur au grenier.
Les bouteilles de bière vides s'accumuleraient peu à peu et on oublierait de sortir la poubelle la troisième semaine du mois‪.‬
J'aurais été voir l'expo Bowie, peut-être toute seule parce que ça ne t'intéressait pas et mon obsession ridicule t'agacerait prodigieusement.
Tu aurais écrit le bouquin avec tous ces extra-terrestres. Celui dont je suis la seule à savoir qu'il a potentiellement existé. Ou pas. Après tout tu avais écrit le Train de la réalité parce que tu n'arrivais pas à sortir de cet univers.
Tu aurais sans doute continué. À chaque fois que tu terminais un bouquin il y avait cette période où tu te lançais dans un projet ou deux qui n'étaient pas, finalement, celui sur lequel tu te mettais à bosser sérieusement. Je ne sais pas si tu en avais conscience. Je ne me souviens pas qu'on en ait parlé.
On ne se souvient de rien, en fait.
Ni de ce qu'on voudrait, ni de ce qu'il faudrait.

On est comme un voyageur téléporté sur un continent inconnu et terrible et qui sait qu'il ne rentrera jamais chez lui. 
On désire le passé tout en sachant qu'il est hors de portée. C'est ça, la nostalgie. Un espoir qui se sait désespéré mais qui continue.

Trois ans ne signifie strictement rien.

On ne serait pas partis en vacances…
Pas plus que les autres années…



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