Quelques nouvelles qui dessinent la suite de l'année.
Comme vous l'avez peut-être déjà vu, Haute-École est désormais disponible chez l'Atalante Poche. Chose qui me satisfait énormément, car c'est en poche que j'ai connu et découvert la SF.
Côté traductions, eh bien, c'est un peu la saison sèche. Rien de prévu pour le moment. Ce serait catastrophique sur le plan financier si je n'étais pas l'heureuse bénéficiaire d'une bourse du CNL qui va me permettre de bosser sur Sans Port d'attache, roman pour lequel je viens de signer le contrat, toujours chez L'Atalante.
Signé aussi mais prévu pour la fin de l'année, la réédition au sein des Saisons de l'Étrange, émanation des Moutons Électriques, de L'invité de Verre, roman cognaçais où rodent d'étranges créatures. La couv est superbe, je l'ai relu et corrigé, il manque juste une dernière couche de vernis.
Tout ça est plus que pas mal et rien moins qu'immensément satisfaisant - et le sera encore plus si deux ou trois d'entre vous cliquez sur le bouton ko-fi qui se trouve en haut à droite la droite de cet article, histoire de m'encourager à bloguer plus.
Je me souviens d'une époque hélas bien lointaine où Roland et moi essayons de donner une culture cinématographique à Natacha en regardant des "classiques". Il semblerait que la partie "on regarde en vo" ait marché, car après avoir râlé quand elle était "petite", genre entre dix et quatorze ans si ma mémoire est bonne, elle a adopté le truc. Par contre, les tentatives de lui faire regarder des westerns se sont essentiellement soldées par un "j'aime pas les westerns"…
Et c'est là qu'il faut bien que je reconnaisse une chose : je ne suis pas si fan que ça du western en tant que genre. J'aime certains westerns, essentiellement deux : Mon nom est personne et L'homme qui tua Liberty Valance, le dernier parce que je l'ai revu récemment, mon souvenir d'un ciné club, du temps où il y avait un ciné club le vendredi soir à la télé, étant tout de même bien vague.
Il se trouve que ni l'un ni l'autre ne sont de "vrais" westerns. Liberty Valance est un film sur la construction de la démocratie aux États-Unis, et une réflexion sur la construction de la réalité "This is the west, sir, when the legend becomes fact, print the legend."
Mon nom est personne est un méta-western, une semi-parodie dont on ne sait trop si elle essaie d'insuffler de la vie dans un genre moribond où tout simplement de célébrer ce qu'il a de meilleur et de plus désespéré : ses tentatives maintes fois répétées de transformer en légende une histoire qui ne fut probablement, comme toute l'histoire de l'invasion du continent nord américain par les colons européens, qu'une longue suite de déprédations, de tueries diverses et d'échecs (si vous ne voyez pas de quoi je parle, allez voir du côté de Donner party , ou piste des larmes, ou… )
Tout ça pour dire que j'ai regardé The ballad of Buster Scrubs, des frères Cohen sur Netflix, après conseil de gens de goût sur lerézosocialqu'ilnefautpasnommer.
Ce n'est pas que je n'ai pas aimé (j'ai trouvé que c'était un peu long mais j'ai regardé jusqu'à la fin) mais je reste dubitative quand à ce qu'ils ont vraiment voulu faire.
Nous avons donc un "film à sketches", dénomination idiote parce qu'en français le "sketch" suggère un truc rigolo, ce qui n'est pas du tout le cas. Considérons donc que nous avons une série d'histoires (de nouvelles, en fait) se déroulant dans l'ouest. La question étant, quel ouest ? La vérité de l'ouest, seuls ceux qui en ont vécu les différentes étapes l'ont vraiment sue, les autres n'ont que reconstructions et légendes — c'est le cas pour toutes les aventures humaines, mais c'est particulièrement le cas pour cette partie-là, grâce à la capacité des USA à transformer leur culture en moyen de conquête du reste du monde.
Donc, ça se compose de six histoires, complètes, avec un milieu, un début et une fin, et c'est vraiment, vraiment agréable, quand on aime les bonnes histoires, ce qui est mon cas. D'ailleurs, je suis d'accord avec les frères Cohen : « Ce que je ne comprends pas avec les séries, et je crois c'est que c'est difficile pour nous deux, c'est que les films ont un début, un milieu et une fin. Mais les histoires ouvertes ont un début, un milieu et ensuite ils s'épuisent jusqu'à la mort. Ils n'ont pas vraiment de fin. Et réfléchir comme ça dans le contexte d'une histoire est très étrange comparé à la façon dont nous imaginons les choses. »
Six vraies histoires, donc :
La Ballade de Buster Scruggs : Un cowboy tout de blanc vêtu, l'air un peu niais, arrive en chantant dans un saloon, prend part à une partie de poker et se révèle être le tireur le plus rapide de l'ouest, jusqu'au moment où arrive un autre cow-boy, tout en noir, qui le bat en duel, et l'on voit le fantôme du cow-boy s'élever en chantant dans le ciel.
Dès le début, en fait, on ne sait pas où on est : dans l'ouest mythique, c'est sûr, le saloon est parfait, l'image est parfaite d'un bout à l'autre du film, évidemment, le costume de Buster totalement parodique tout comme sa capacité à tirer sur les cinq doigts d'un adversaire. Il perd à la fin mais il s'en va en chantant et en conservant sa dignité, ce qui est fort plaisant.
Près d'Algodones : Un cowboy tente de braquer une banque, rate son coup parce que l'employé était préparé (installation sortie droit d'un Bugs Bunny, mais en réaliste), il finit la corde au cou, est sauvé par l'arrivée d'indiens qui massacrent tout le monde mais le laissent sur son cheval avec sa corde. Arrive un cowboy et son troupeau qui le sauve. Hélas, c'était un voleur de bétail : le cowboy est a nouveau pris, se retrouve la corde au cou avec d'autres malheureux, voit une jolie fille dans l'assistance. Noir.
Oui. Alors bon, ça, c'est vraiment le truc sans intérêt, à mon sens. Les gens sont cons et méchants, la vie est nulle et absurde et on meurt bêtement. What's new ?
Ticket Repas (Meal ticket) : Un cirque ambulant va de ville en ville. Le propriétaire n'a qu'un numéro : un homme sans bras ni jambes qui récite de magnifiques extraits de monuments de la littérature. Le public est composé de malheureux traîne-misères de l'ouest. L'impresario et le récitant ne se parlent jamais. Un jour, l'impresario croise un autre cirque : une poule savante attire un public nombreux. Il achète la poule. Il passe près d'un très profond ravin où coule un fleuve. Il continue, la poule est la seule occupante de la carriole.
Alors, comment dire… Oui, c'est très bien fichu. On est ému par ces malheureux errants de coin paumé et glacial en autre coin paumé sous la flotte, et par la magie de ce type qui dit magnifiquement des bribes de forts beaux textes rendus encore plus beaux par le contexte minable dans lequel ils sont prononcés. MAIS. Quelque chose me chatouillait à la fin, et pas juste parce que je ne suis pas fan des fins sinistres (ce con de propriétaire de cirque, il a perdu son récitant, et il a une poule qui doit être aussi mathématicienne que moi…) mais parce que ça passe juste pas le Fries Test, qui est l'équivalent du Bechdel Test pour les personnages handicapés.
Ça dit (traduit un peu à la truelle, on est dimanche) :
"Does a work have more than one disabled character? Do the disabled characters have their own narrative purpose other than the education and profit of a nondisabled character? Is the character’s disability not eradicated either by curing or killing?"
L'oeuvre contient-elle plus d'un personnage handicapé ? Les personnages handicapés ont-ils leur propre but narratif, autre que l'éducation et le profit d'un personnage valide ? Le handicap du personnage n'est-il pas éradiqué, que ce soit en le guérissant ou en le tuant ?
Voilà. Le merveilleux récitant de Shelley, il n'est là que pour transporter l'histoire sur le terrain du grotesque poétique. Pour être un tronc qui parle et que personne n'entend, vu les réactions de son maigre public de pauvres bougres. C'est comme dans la Castafiore, ce Tintin ou personne n'écoute personne, sauf qu'on est dans cet ouest parfaitement reconstitué et photographié. Et donc, à la fin, personne n'a rien appris, ni gagné, ni rien, y compris le spectateur, qu'on a finalement manipulé avec art, certes, mais pour pas grand chose.
Gorge dorée (All gold canyon) : Un prospecteur (Tom Waits, rien que ça) arrive dans une vallée à l'herbe grasse et parfaite, au ciel d'un bleu pur, et où comme il se doit coule une rivière. Il cherche de l'or méthodiquement, fouille les arbres pour y trouver des œufs mais est vu par la mère grand-duc et en remet trois sur quatre dans le nid, finit par trouver de l'or, et au moment où il récupère les grosses pépites, est abattu par un nouvel arrivant. Qui s'assied au bord du trou et fume une clope pendant que le sang s'étale dans le dos du vieux prospecteur. Le timing est absolument parfait, car on le croit vraiment mort quand il se relève et zigouille le jeune con. Bien que blessé gravement, il parvient à s'en sortir et quitte la vallée après avoir récupéré l'or et enterré le jeune crétin dans le trou. Bon, c'est sans doute mon préféré. Ces images d'une nature parfaite, généreuse et immense, c'est tout à fait ce que j'ai pu ressentir les deux fois où je suis allée aux États-Unis. Et il a beau être un dur à cuire, notre orpailleur est sympa, il ne prend que ce dont il a besoin à la nature (les œufs de hibou). Sauf que bon, une fois les voiles de la photographie des Cohen levés, je me suis rappelée que la ruée vers l'or, c'était plutôt ça :
Oh, et presque sans chercher, je tombe sur un merveilleux article qui vous explique comment certains sites d'orpaillage ou mines sont en fait encore contaminés par le mercure . Y'a des chiffres sur les pourcentages de mercure utilisé par rapport à l'or récupéré, des cartes des sites et la liste des dangers potentiels. Quoi, c'est pas poétique ?
Et il me reste deux sketches. Zut. Non, pas ce soir, il faut que je recopie quelque chose avant d'être incapable de me relire. Demain, peut-être, si vous êtes sages.
Oui, bon, je sais, j'avais dit "tous les jours" et évidemment ça n'est pas "tous les jours", la faute au dimanche consacré à un stage de théâtre d'improvisation (il faisait beau, tout le monde avait la pêche ou presque, j'ai appris des trucs) qui a brisé mon élan, j'ai passé la semaine à bosser sur Sans but ni fin, en mode "semi synopsis" : j'écris ce que je vois pour la suite (déjà définie dans ses grandes lignes), je "rédige", je re-synopsise, il finit par arriver des moments où ça décolle et ça ne demande plus de s'obliger à réfléchir. Dans l'idéal.
Et oui, donc, il m'est si rarement arrivé de ne faire qu'écrire que je considère la plupart du temps que je ne n'ai pas d' "habitudes" et surtout pas de rituels, les rituels c'est pour les religions et les publicités de produits de beauté, au cas où vous n'auriez pas remarqué, pour faire croire aux femmes qu'elles accomplissent un geste sacré quand elles se tartinent de crème à mille euros le dé à coudre.
J'ai donc des habitudes à court terme, des stylos et des carnets et des cahiers que j'utilise un jour, une semaine, un mois, un an, ça dépend.
Et puis je me suis rendu compte qu'au milieu de tout ça, il y avait tout de même un invariant : les porte-mines en plastique de couleur du Novotel de Nantes. Oui, celui des Utopiales, je sais que ça fait "je me la pète au Novotel depuis les débuts du festival", mais prenez bien en compte que j'ai aussi l'âge qui va avec. Donc, dans les chambres du Novotel, il y a les trucs habituels, le sèche-cheveux, la bouilloire, le shampoing, la télé, et un de ces porte-mines, que je récupère toujours, au point qu'il y en a une demi-douzaine éparpillés chez moi. (Jamais la même couleur. Voilà qu'à présent je me demande qui régit et détermine le choix des couleurs de porte-mine dans les chambres.)
J'aime écrire au crayon. C'est doux et ça glisse, et si la mine est petite, ce qui est le cas avec un porte-mine, ça donne une écriture assez précise et lisible même pour quelqu'un qui cherche désespérément, depuis toujours, à écrire aussi vite qu'elle pense. (On peut pas, c'est épuisant, et les gens se plaignent de ne pas pouvoir vous lire, comme si on le faisait exprès, comme si on n'était pas engagé dans une course éternelle contre le temps et les stylos et les doigts qui n'écrivent pas assez vite et ont des crampes.). Ah, et ils sont très fins, je pense que ça joue dans le fait que je trouve agréable d'écrire avec.
Donc, voilà, des porte-mines en plastique de couleur, jetables, pas écolos du tout, sauf que je ne les jette pas, et qui s'accumulent, avec ça, tu peux fabriquer des vaisseaux spatiaux, t'imagines un peu le trip ?
samedi 23 février 2019
Et donc, les porte-mine en plastique.
Ou pas.
Parce que maintenant que j'ai fait la photo avec les zoulies couleurs de bonbons et les lignes horizontales noires, est-il vraiment important que je disserte sur des stylos ? Hein ? Sérieusement ?
Oui mais tu as dis que tu bloguerais tous les jours donc bloguer il faut, et comme tu n'as ni l'idée, ni la doc pour faire sérieux et étoffé, ben il va falloir faire futile et impressionniste, et surtout pas trop long.
Tout à l'heure, je suis allée faire quelques courses, et j'ai eu droit à une série de ces petits non événements bizarres que l'on devrait pouvoir transformer en anecdotes de l'air du temps, lorsqu'on est un Auteur Véritable. De la littérature générale, quoi.
Je vais flâner au magasin de vêtements en face du supermarché, pour rien, vu que c'est le genre qui n'a pas ma taille, et je tombe sur ce panonceau.
Et là, en dehors du fait que ce type de jean incarne la mochitude absolue, je m'interroge : depuis quand évoque-t-il les années 90 et pas les années 80 ? Et en termes de temps, pour une gamine de mettons 15 ans, ça correspond à quoi, dans mon référent, les années 90. J'avais 15 ans en 78, donc, à la louche, les années 90 c'est il y a vingt ans, donc pour la gamine, c'est comme 1943 pour moi. Ouille.
Me dirigeant vers le fond du magasin, je vois arriver un de ces bolides braillants comme on en croise souvent quand on fait ses courses. Brun et souriant. Bon, il devait avoir quatre ou cinq ans, avait un père qui parlait une langue que je n'ai pas réussi à identifier (pays de l'Est ?), et une fois disparu dans la direction opposée, je ne l'ai plus entendu.
Sauvée.
Quelques minutes plus tard, entre le rayon des légumes et celui des jus de fruits, le papa du bolide a montré une petite bouteille d'eau au vendeur qui remplissait un rayon, qui lui a donné le prix de la bouteille. 30 centimes.
Pas longtemps après, je passe à la caisse, le monsieur grand long et mince tend la bouteille à la caissière, qui la fait lire par le lecteur : 30 centimes. Mais le type ne l'a pas prise, il est ressorti sans avoir rien acheté avec son gamin et je suis restée là à mettre mes bananes et mon lait dans mon sac, et à me dire "mais tu pouvais pas penser à les lui donner, les trente centimes !!!!".
Quelques minutes encore plus tard, à la pharmacie, où il est impossible (dieu sait pourquoi) d'avoir des boîtes de 28 comprimés d'oméprazole, devant moi, une dame accompagnée d'un très joli lévrier, poil court et brun doré, haut sur pattes, un long museau fin et promeneur, avec un collier en cuir assez large pour un fort beau motif, quelque chose qui me rappelle William Morris.
Et pour finir, quelques dizaines de mètres plus loin, je regarde la vitrine du magasin de déco, un type arrive en sens inverse et me dit "entrez madame, j'arrive tout de suite, je vais faire une sieste". Et il me tapote l'épaule, légèrement, et continue, et répète la même chose à la dame âgée à côté de moi, avec qui j'échange un regard du style "il n'est pas très bien, le monsieur".
Et les stylos ? Euh, comment dire, je viens de passer à peu près trois quart d'heures à transférer une malheureuse photo de mon portable naze à mon ordi, je suis désolée, lecteur que j'aime, mais il est tard, j'ai préparé un dessert pour mon stage de théâtre demain, et je n'ai pas mangé.
Je ne sais pas comment procèdent mes confrères pour inventer les (nombreux) néologismes que l'on rencontre dans tout ouvrage de science-fiction qui se respecte, mais je sais que je peux écrire 100 000 signes de texte alors qu'il me manque des noms de personnages, d'objets, de vaisseaux spatiaux et autres.
Bon, en général des personnages secondaires, les personnages principaux ayant la bonté de se présenter à moi pourvus d'un patronyme, ce qui m'arrange tout de même bien. Sinon, hé bien, je fais ça "à l'oreille", en tentant de donner des consonnances semblables aux noms d'extraterrestres de la même planète (oui, c'est pas réaliste, mais ça facilite la lecture, et ça donne une ambiance, un ton.) Quand j'ai deux ou trois mots, je dérive de nouveaux mots à partir de ceux-là. Quand je suis vraiment coincée, je fouine le net ou je tape des mots existants sur un clavier querty, ou, dernier truc en date, en décalant mes mains sur mon clavier azerty, ça donne des résultats assez amusants.
Un jour, une lectrice m'a fait très plaisir en me disant qu'elle avait adoré les noms dans Haute-École parce qu'ils ne ressemblaient pas à ceux des livres traduits de l'anglais.
Je ne me suis jamais lancée dans la création d'un vocabulaire ou d'une grammaire complète, ça ne m'attire pas spécialement, je soupçonne que ça me prendrait un temps fou que j'ai à peine pour écrire l'histoire, donc peut-être un jour, dans une autre vie.Bref, ces deux derniers jours, j'ai nommé des vaisseaux, deux alphabets, un moyen de communication que l'on aurait pu aisément confondre avec un smartphone (quelle horreur) mais dont des personnages ont besoin, un alcool fort et des extraterrestres qui pour le moment ne font que de la figuration, en attendant mieux.
Et je me rends compte que je voulais parler de ces stylos, mais que je n'aurai pas le temps, car j'ai du poulet, du lait de coco et de l'ananas à transformer en dîner.
Donc, j'ai un creux de trad, un mois sans rien et des corrections qui m'arriveront mi-mars, parce qu'un éditeur a repoussé celle qui était prévue et parce que j'aurais dû me secouer un peu plus pour en trouver une autre mais, devinez quoi, je préfère écrire, même si je déteste profondément ne pas savoir où je vais question finances. Il faut croire qu'une partie non négligeable de mon subconscient a décidé qu'il s'en foutait, le crétin.
Je vais donc tenter quelque chose que je n'ai jamais fait parce que je n'y arrive pas quand je traduis. J'aime traduire, ne nous méprenons pas, mais il faut bien dire une chose : ça me bouffe une énergie de dingue. Donc, je vais tenter d'écrire un billet par jour jusqu'à ce que je reçoive mes corrections. Attache ta ceinture, lecteur, nous commençons très haut dans le ciel.
Hier soir, j'ai revu Les Ailes du Désir pour la première fois depuis la sortie. Impossible de me rappeler où je l'ai vu, ni avec qui (ça ne veut rien dire, ça fait très longtemps que je vais au ciné seule, j'aime parler des films que je vois mais pas tout de suite après.) Tout ce dont je me rappelle, c'est qu'à l'époque, Roland et Cathy, sa compagne de l'époque n'arrêtaient pas d'en parler, le film était hyper important pour eux. Il me semble que Roland l'avait aimé, mais ça fait 30 ans et mes souvenirs sont bien flous sur certains points.
Je m'étais ennuyée comme un rat mort, moi.
Une des premières nouvelles que j'ai écrites contenait un personnage ailé. Ce que j'écris en ce moment en contiendra aussi.
Je déteste le cirque, surtout les petits cirques minables et pathétiques comme celui du film.
J'avais adoré Peter Falk.
Il fallait donc que je sache si mon moi de 1987 avait tort ou si mon moi de maintenant pouvait lui accorder que c'était un classique contemporain qui n'était pas pour lui (nous ? moi ?).
Je l'ai donc regardé en entier mais j'ai eu du mal. C'est long, merde, et il ne se passe rien. Mais c'est beau. Le noir et blanc, que j'en suis venue à trouver reposant dans notre époque de couleur souvent utilisée n'importe comment, est devenu, avec la lenteur, la marque du film d'auteur avec un grand A — c'est pénible et c'est dommage. Donc, Berlin en noir et blanc, présent et passé, par les yeux de deux anges qui sont là on ne sait ni pourquoi ni comment — l'auteur de sf trouve ça facile, cette façon qu'ont les non-auteurs de sf de poser des situations arbitraires sans les justifier par un univers — des anges, donc, détachés de tout y compris de tout contexte religieux, qui observent les humains, entendent leur pensées, notent des bribes de beauté passagère. Ils ont des noms mais on ne les connaît qu'à la fin. Le monologue intérieur de celui joué par Bruno Gantz est magnifique, un beau texte, qui doit être de Peter Handke, le co-scénariste. On entend le rythme même lorsqu'on ne repère que trois mots d'allemand. En réalité, tout le "texte", le monologue intérieur de notre ange-point-de-vue et les pensées des humains est superbe de poésie quotidienne et surréaliste, l'art de l'énumération bien pensée, juxtaposition de hasards qui n'en sont pas, poésie, donc — et comme j'ai mauvais esprit, je me suis dit qu'ils avaient de la chance, ces anges, de ne tomber sur aucun humain dont les pensées soient grotesques ou répugnantes.
On ne peut s'empêcher de songer à L'oreille interne, ou à l'Homme dans le Labyrinthe - j'y pense à présent, je n'y ai pas pensé en regardant le film. Il y aurait beaucoup à dire sur les longues promenades de la caméra au dessus et dans Berlin, mais cela a dû être fait mille fois par d'autres plus qualifiés que moi. Je retiendrais la bibliothèque, cette merveille d'architecture années 70, les anges qui se penchent sur les visiteurs qui lisent, travaillent, réfléchissent. Le personnage du "conteur" qui se perd et va s'endormir dans un fauteuil dans un terrain vague (note aux scénaristes : il faut arrêter avec le terrain vague noir et blanc et poétique, hein, ça va finir par se voir).
Bref. Je m'étais dit, je vais faire trois cent cinquante mots et hop, et bien non, pas hop, j'en suis déjà à 760, 761, 762…
Les Ailes du désir, c'est donc un ange narrateur, détaché du monde, observateur comme bien des écrivains, qui veut tomber dans le réel et y parvient, et qui a en quelque sorte de la chance. On devrait être bien plus heureux pour lui à la fin.
(… tout le monde cherche la Potsdamer Plaz, semble-t-il)