dimanche 28 février 2016

Où l'on rend à Umberto Eco…

Je dois une nouvelle à Umberto Eco.
Une nouvelle qui s'appelait Après Champollion dans l'anthologie Escales sur l'horizon, parue en 1998, et qui s'est transformée en dyptique, La Saison des singes et l'Empire du Sommeil. Donc, je lui dois une nouvelle qui a en quelque sorte disparu — oui, je viens juste de m'en rendre compte.

Ce billet rentre donc dans la catégorie bien connue des réponses à la question : « et où trouvez-vous vos idées  ? », de même qu'à celle de « qu'est-ce qui reste du processus de naissance des idées vingt ans après ».
Je n'arrive absolument pas à me souvenir si j'ai vu le film, le Nom de la rose, au cinéma, wikipédia m'indique qu'il est sorti en décembre 86, époque où je me trouvais à Lyon. Par contre, je me souviens très bien que le livre faisait partie d'un certain nombre d'ouvrages dont je me suis séparée avant de déménager, l'année suivante.
J'avais décidé que ce roman m'énervait, qu'il était un gros machin destiné à rouler le lecteur dans la farine et je m'estimais grugée. J'aimerais bien retrouver comment j'en étais arrivée là, mais comme je n'ai pas relu le livre (ben oui, je l'ai vendu) depuis, c'est peine perdue. Avec le recul, je ne peux que conclure que c'était une de ces situations où, n'arrivant pas, allez savoir pourquoi, à admirer l'auteur, j'avais décider qu'il m'agaçait.
Notons néanmoins que bien qu'énervée, j'ai fait ensuite l'acquisition de l'Apostille au Nom de la rose, parce que j'imagine, je voulais en savoir un peu plus sur le fameux vers final et peut-être sur l'auteur, et sur l'écriture de gros  roman policiers médiévaux transformés en films avec Sean Connery. Je n'avais pas pris de notes, et internet n'existait pas. Ne jamais négliger le rôle de l'énervement et de la jeunesse dans la genèse des idées.

Stat rosa tenemus nomine, nomina nuda tenemus.
La rose d'origine n'existe plus que par son nom, nous ne possédons que de purs noms. (S'il existe une traduction exacte et un peu moins lourde, je prends.)
Nous sommes dans l'ubi sunt, le passage du temps, Villon, Ronsard, Rutebœuf.
Mais le nom nu, pour moi, c'était la séparation entre le signifié et le signifiant. Certes, une fois que le temps à fait son œuvre, il nous reste les mots qui désignent et invoquent les choses, mais les mots (le signifiant) et les choses (le signifié) ne forment couple, c'est à dire sens, que si d'une manière ou d'une autre, la liaison entre eux persiste.
Pour que le mot « banane » vous soit compréhensible, il faut que quelque part, dans le réel, le signe « banane » et le fruit soient liés, ne serait-ce que dans votre esprit, parce que vous avez vu soit une vraie banane, soit une image fidèle. Le signifiant et le signifié doivent être liés, quelque part, au-delà du texte pour que le texte fasse sens.

Mais que se passerait-il, justement, si pour une raison quelconque, certains mots se trouvaient privés de leur référent dans le monde réel ? S'ils restaient véritablement nus, des signes purs, en quelque sorte, sans rien pour les compléter ? Si le monde réel qui leur avait donné naissance à la chose avait repris ces choses, ne laissant plus que des signes qui seraient non pas de pur noms, mais comme des panneaux indicateurs qui ne pointeraient plus nulle part ? Les textes qui les contenaient resteraient-ils intelligibles ? Pour qui ? Comment ?

J'avais depuis longtemps envie d'écrire une histoire de vaisseau échoué et de gens naufragés sur une planète, totalement coupés de leur civilisation d'origine. Tout ça est dans les deux romans.
Les personnages sont donc arrivés après, l'idée de départ, je la dois à Bernard de Morlaix, un moine bénédictin du xiième siècle et à Umberto Eco, ce qui fait tout de même un fort joli voyage dans le temps.
Pendant vingt-cinq ans, je n'ai pas pris la peine de lire autre chose de cet estimable monsieur à qui je dois un texte que je considère comme l'un de mes meilleurs. Il faut dire que ses écrit sur le rôle du lecteur, passés à la moulinette du journalisme, m'ont plus d'une fois agacée, de même que ses réflexions sur l'internet.  Je n'aime pas, mais vraiment pas, que sous prétexte de sémiotique mal digérée on classe les lecteurs en bons et en mauvais.
Et je ne regrette pas de ne pas avoir lu Eco. Parce qu'il n'avait pas besoin de savoir si je l'avais lu, et parce que comme ça, il me reste des livres intéressants à découvrir, et que par les temps qui courent, ça devient difficile à trouver.
Quant aux idées et à leur origine, voilà ce qu'il en dit à la fin de l'Apostille : « … il existe des idées obsédantes, elles ne sont jamais personnelles, les livres parlent entre eux, et une véritable enquête policière doit prouver que les coupables, c'est nous. »





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