Et c'est là qu'il faut bien que je reconnaisse une chose : je ne suis pas si fan que ça du western en tant que genre. J'aime certains westerns, essentiellement deux : Mon nom est personne et L'homme qui tua Liberty Valance, le dernier parce que je l'ai revu récemment, mon souvenir d'un ciné club, du temps où il y avait un ciné club le vendredi soir à la télé, étant tout de même bien vague.
Il se trouve que ni l'un ni l'autre ne sont de "vrais" westerns. Liberty Valance est un film sur la construction de la démocratie aux États-Unis, et une réflexion sur la construction de la réalité "This is the west, sir, when the legend becomes fact, print the legend."
Mon nom est personne est un méta-western, une semi-parodie dont on ne sait trop si elle essaie d'insuffler de la vie dans un genre moribond où tout simplement de célébrer ce qu'il a de meilleur et de plus désespéré : ses tentatives maintes fois répétées de transformer en légende une histoire qui ne fut probablement, comme toute l'histoire de l'invasion du continent nord américain par les colons européens, qu'une longue suite de déprédations, de tueries diverses et d'échecs (si vous ne voyez pas de quoi je parle, allez voir du côté de Donner party , ou piste des larmes, ou… )
Tout ça pour dire que j'ai regardé The ballad of Buster Scrubs, des frères Cohen sur Netflix, après conseil de gens de goût sur lerézosocialqu'ilnefautpasnommer.
Ce n'est pas que je n'ai pas aimé (j'ai trouvé que c'était un peu long mais j'ai regardé jusqu'à la fin) mais je reste dubitative quand à ce qu'ils ont vraiment voulu faire.
Nous avons donc un "film à sketches", dénomination idiote parce qu'en français le "sketch" suggère un truc rigolo, ce qui n'est pas du tout le cas. Considérons donc que nous avons une série d'histoires (de nouvelles, en fait) se déroulant dans l'ouest. La question étant, quel ouest ? La vérité de l'ouest, seuls ceux qui en ont vécu les différentes étapes l'ont vraiment sue, les autres n'ont que reconstructions et légendes — c'est le cas pour toutes les aventures humaines, mais c'est particulièrement le cas pour cette partie-là, grâce à la capacité des USA à transformer leur culture en moyen de conquête du reste du monde.
Donc, ça se compose de six histoires, complètes, avec un milieu, un début et une fin, et c'est vraiment, vraiment agréable, quand on aime les bonnes histoires, ce qui est mon cas. D'ailleurs, je suis d'accord avec les frères Cohen :
« Ce que je ne comprends pas avec les séries, et je crois c'est que c'est difficile pour nous deux, c'est que les films ont un début, un milieu et une fin. Mais les histoires ouvertes ont un début, un milieu et ensuite ils s'épuisent jusqu'à la mort. Ils n'ont pas vraiment de fin. Et réfléchir comme ça dans le contexte d'une histoire est très étrange comparé à la façon dont nous imaginons les choses. »
« Ce que je ne comprends pas avec les séries, et je crois c'est que c'est difficile pour nous deux, c'est que les films ont un début, un milieu et une fin. Mais les histoires ouvertes ont un début, un milieu et ensuite ils s'épuisent jusqu'à la mort. Ils n'ont pas vraiment de fin. Et réfléchir comme ça dans le contexte d'une histoire est très étrange comparé à la façon dont nous imaginons les choses. »
Six vraies histoires, donc :
La Ballade de Buster Scruggs :
Un cowboy tout de blanc vêtu, l'air un peu niais, arrive en chantant dans un saloon, prend part à une partie de poker et se révèle être le tireur le plus rapide de l'ouest, jusqu'au moment où arrive un autre cow-boy, tout en noir, qui le bat en duel, et l'on voit le fantôme du cow-boy s'élever en chantant dans le ciel.
Un cowboy tout de blanc vêtu, l'air un peu niais, arrive en chantant dans un saloon, prend part à une partie de poker et se révèle être le tireur le plus rapide de l'ouest, jusqu'au moment où arrive un autre cow-boy, tout en noir, qui le bat en duel, et l'on voit le fantôme du cow-boy s'élever en chantant dans le ciel.
Dès le début, en fait, on ne sait pas où on est : dans l'ouest mythique, c'est sûr, le saloon est parfait, l'image est parfaite d'un bout à l'autre du film, évidemment, le costume de Buster totalement parodique tout comme sa capacité à tirer sur les cinq doigts d'un adversaire. Il perd à la fin mais il s'en va en chantant et en conservant sa dignité, ce qui est fort plaisant.
Près d'Algodones :
Un cowboy tente de braquer une banque, rate son coup parce que l'employé était préparé (installation sortie droit d'un Bugs Bunny, mais en réaliste), il finit la corde au cou, est sauvé par l'arrivée d'indiens qui massacrent tout le monde mais le laissent sur son cheval avec sa corde. Arrive un cowboy et son troupeau qui le sauve. Hélas, c'était un voleur de bétail : le cowboy est a nouveau pris, se retrouve la corde au cou avec d'autres malheureux, voit une jolie fille dans l'assistance. Noir.
Un cowboy tente de braquer une banque, rate son coup parce que l'employé était préparé (installation sortie droit d'un Bugs Bunny, mais en réaliste), il finit la corde au cou, est sauvé par l'arrivée d'indiens qui massacrent tout le monde mais le laissent sur son cheval avec sa corde. Arrive un cowboy et son troupeau qui le sauve. Hélas, c'était un voleur de bétail : le cowboy est a nouveau pris, se retrouve la corde au cou avec d'autres malheureux, voit une jolie fille dans l'assistance. Noir.
Oui. Alors bon, ça, c'est vraiment le truc sans intérêt, à mon sens. Les gens sont cons et méchants, la vie est nulle et absurde et on meurt bêtement. What's new ?
Ticket Repas (Meal ticket) :
Un cirque ambulant va de ville en ville. Le propriétaire n'a qu'un numéro : un homme sans bras ni jambes qui récite de magnifiques extraits de monuments de la littérature. Le public est composé de malheureux traîne-misères de l'ouest. L'impresario et le récitant ne se parlent jamais. Un jour, l'impresario croise un autre cirque : une poule savante attire un public nombreux. Il achète la poule. Il passe près d'un très profond ravin où coule un fleuve. Il continue, la poule est la seule occupante de la carriole.
Un cirque ambulant va de ville en ville. Le propriétaire n'a qu'un numéro : un homme sans bras ni jambes qui récite de magnifiques extraits de monuments de la littérature. Le public est composé de malheureux traîne-misères de l'ouest. L'impresario et le récitant ne se parlent jamais. Un jour, l'impresario croise un autre cirque : une poule savante attire un public nombreux. Il achète la poule. Il passe près d'un très profond ravin où coule un fleuve. Il continue, la poule est la seule occupante de la carriole.
Alors, comment dire… Oui, c'est très bien fichu. On est ému par ces malheureux errants de coin paumé et glacial en autre coin paumé sous la flotte, et par la magie de ce type qui dit magnifiquement des bribes de forts beaux textes rendus encore plus beaux par le contexte minable dans lequel ils sont prononcés. MAIS. Quelque chose me chatouillait à la fin, et pas juste parce que je ne suis pas fan des fins sinistres (ce con de propriétaire de cirque, il a perdu son récitant, et il a une poule qui doit être aussi mathématicienne que moi…) mais parce que ça passe juste pas le Fries Test, qui est l'équivalent du Bechdel Test pour les personnages handicapés.
Ça dit (traduit un peu à la truelle, on est dimanche) :
"Does a work have more than one disabled character? Do the disabled characters have their own narrative purpose other than the education and profit of a nondisabled character? Is the character’s disability not eradicated either by curing or killing?"
L'oeuvre contient-elle plus d'un personnage handicapé ? Les personnages handicapés ont-ils leur propre but narratif, autre que l'éducation et le profit d'un personnage valide ? Le handicap du personnage n'est-il pas éradiqué, que ce soit en le guérissant ou en le tuant ?
Voilà. Le merveilleux récitant de Shelley, il n'est là que pour transporter l'histoire sur le terrain du grotesque poétique. Pour être un tronc qui parle et que personne n'entend, vu les réactions de son maigre public de pauvres bougres. C'est comme dans la Castafiore, ce Tintin ou personne n'écoute personne, sauf qu'on est dans cet ouest parfaitement reconstitué et photographié. Et donc, à la fin, personne n'a rien appris, ni gagné, ni rien, y compris le spectateur, qu'on a finalement manipulé avec art, certes, mais pour pas grand chose.
Gorge dorée (All gold canyon) :
Un prospecteur (Tom Waits, rien que ça) arrive dans une vallée à l'herbe grasse et parfaite, au ciel d'un bleu pur, et où comme il se doit coule une rivière. Il cherche de l'or méthodiquement, fouille les arbres pour y trouver des œufs mais est vu par la mère grand-duc et en remet trois sur quatre dans le nid, finit par trouver de l'or, et au moment où il récupère les grosses pépites, est abattu par un nouvel arrivant. Qui s'assied au bord du trou et fume une clope pendant que le sang s'étale dans le dos du vieux prospecteur. Le timing est absolument parfait, car on le croit vraiment mort quand il se relève et zigouille le jeune con. Bien que blessé gravement, il parvient à s'en sortir et quitte la vallée après avoir récupéré l'or et enterré le jeune crétin dans le trou. Bon, c'est sans doute mon préféré. Ces images d'une nature parfaite, généreuse et immense, c'est tout à fait ce que j'ai pu ressentir les deux fois où je suis allée aux États-Unis. Et il a beau être un dur à cuire, notre orpailleur est sympa, il ne prend que ce dont il a besoin à la nature (les œufs de hibou). Sauf que bon, une fois les voiles de la photographie des Cohen levés, je me suis rappelée que la ruée vers l'or, c'était plutôt ça :
Oh, et presque sans chercher, je tombe sur un merveilleux article qui vous explique comment certains sites d'orpaillage ou mines sont en fait encore contaminés par le mercure . Y'a des chiffres sur les pourcentages de mercure utilisé par rapport à l'or récupéré, des cartes des sites et la liste des dangers potentiels. Quoi, c'est pas poétique ?
Et il me reste deux sketches. Zut. Non, pas ce soir, il faut que je recopie quelque chose avant d'être incapable de me relire. Demain, peut-être, si vous êtes sages.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire