samedi 17 novembre 2018

Gilets du Gers


Je suis donc allée faire trois courses et constater si le silence quasi dominical de ce samedi était oui ou non dû aux gilet jaunes locaux. Et bien oui. 

Ils étaient au rond point central de la ville basse (la patte d'oie pour les intimes) et bloquaient joyeusement les différentes avenues. Je faisais le tour quand est arrivée, en klaxonnant et en vrombissant comme il se doit, une cohorte de camions et de motards, et peut-être de véhicules agricoles mais je n'ai pas tout vu, qui ont fait un barouf d'enfer pendant que je remontais l'avenue et traversait le Gers. C'était efficace question décibels mais ça manquait de slogans, comme il se doit pour un mouvement surgit de nulle part pour contester une mesure prise par un président venu d'on ne sait où et politiquement positionné on ne sait trop comment, quelque part entre Charles Mauras et feu la social-démocratie. 
Bref, j'ai pensé que ça avait un côté beuglement animal qui peine à s'exprimer, ce qui n'était pas gentil. 

Pendant que je traversais le pont, deux jeunes femmes minces en tenues moulantes noires avançaient souplement dans leur petit engin profilé d'aviron, sur l'eau verte et boueuse (elle l'est toute l'année). 
Le supermarché était assez vide, ainsi que ses rayons, mais pas les mêmes que d'habitude, si bien qu'on soupçonnait à la fois des errements dans les livraisons et un manque de clients habituels.  Je n'ai pas eu à faire la queue, c'est déjà ça.
 À la pharmacie, par contre, une jeune femme, la trentaine, et sa sœur, et un bébé dans un landeau, mais je n'ai pas réussi à déterminer à qui il était, râlait parce que la queue n'avançait pas et qu'elle devait attraper un bus, lesquels bus, et bien, devaient être plus ou moins coincés à un rond-point quelconque. 
En sortant, plus de défilé ni de klaxons ou de cornes de brumes, il y avait encore des gilets mais l'avenue était merveilleusement vide, pas une voiture sous les platanes et leurs feuilles mortes ni sur la chaussée. Il m'est venu à l'idée que ce serait bien comme ça tout le temps, le centre ville, genre dans un avenir où l'on aurait enfin dit adieu au pétrole.
Évidemment, on râle ici et là que "les gens" ne se mobilisent que pour des causes à courtes vue, qu'ils n'ont que de petites crispations mesquines de quasi-privilégiés, pas de vraie vision politique et sont en danger de se faire récupérer qui par l'extrême droite, qui par "les populistes", qui par je ne sais qui encore. Soit. 
À présent, depuis quand "les gens" sont-ils censés avoir le loisir de s'informer sur la planète, ses écosystèmes et la façon dont une certaine idée du "développement" les bousille ? On aimerait bien qu'ils soient plus éclairés et plus curieux, les gens, mais bon, on sait bien que les trois quart du temps, ça n'est pas le cas. Les gens partent le matin bosser en bagnole, rentrent le soir crevés et regardent la télé au lieu de lire René Dumont et John Brunner.
 Et donc, il sortent dans la rue pour une raison idiote, parce que pour une grande partie d'entre eux, la bagnole est une dépense contrainte, une nécessité pour aller au boulot et se déplacer, soit dans les départements désertés par les infrastructures, soit en ville, parce que, eh, c'est quand même bien pratique, une bagnole - je le sais, j'en ai pas, je mesure très bien quand je voudrais aller ailleurs que dans un centre ville, ou faire de grosses courses, ou aller voir mes parents, mais j'ai juste pas envie de m'endetter pour en payer une. 
Donc, le gilet jaune est à côté de la plaque, il devrait manifester pour plus de transports en commun et de transition énergétique, mais allez savoir pourquoi, on a jamais réussi à lui faire comprendre que défendre les bestioles et les arbres, c'est défendre l'écosystème qui nous a permis, depuis quelques dix mille ans, de devenir le prédateur le plus efficace de la planète. 
Le gilet jaune devrait donc m'agacer, mais en fait pas vraiment, parce que je n'ai pas bon esprit et que voir notre bon président Jupitre 1er, qui est tout de même la plus belle incarnation du néant politique que l'on ait jamais logée à l'Élysée se prendre cette baffe de réel m'amuse plutôt. Ni de droite ni de gauche, il a, en créant son mouvement, bien aidé par pas mal de pognon et des médias d'une naïveté (?) confondante, dissous aussi bien la gauche que la droite, et trône sur la désagrégation annoncée du système social français avec la bienveillance photogénique d'un Michel Drucker. Il est donc logique qu'il trouve en face de lui un mouvement de gens qui ne croient plus à la politique dite traditionnelle, et qui sont donc, au choix, votre beauf qui vote fn, votre cousin chauffeur poids lourd, votre tante Adèle qui fait cinquante bornes tous les jours pour aller bosser, votre voisin dont la mère est en EHPAD, votre voisine au chômage et dieu sait combien d'autres. 
Le plus tristement amusant est que  se tenait aujourd'hui un "salon pour le réemploi",  organisé par la ville et Trigone, le syndicat mixte qui assure la gestion de l'eau et des déchets dans le Gers. Je voulais aller y faire un tour mais les bus ne circulant que très peu, surtout la navette gratuite qui fait l'aller retour ville haute/ville basse, ben j'ai eu la flemme et je suis rentrée ranger mes courses et écrire un billet. 





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