C'est comme ça que je vois certains monuments qui se dressent dans le paysage, inévitables, énormes et inutiles, mais dont on ne peut néanmoins pas se débarrasser, comme des armoires en bois massif dans des maisons de famille. Des trucs d'été. Le Tour de France, l'église catholique, les mariages princiers. Ce sont des mèmeplexes apparemment tellement forts qu'ils faudrait sans doute un effondrement du grand complexe culturel qui nous contient tous et que nous construisons par toutes nos actions pour qu'ils s'effondrent, et personne ne veut ça, hein, un grand effondrement, sauf dans les romans-qui-font-peur.
Un mèmeplexe ? Késako, un mèmeplexe ?
Ah, un memeplexe (en anglais).
C'est une unité culturelle constituée, un ensemble d'idées, de croyances, d'actions et de gestes, et même de textes associés dans les cerveaux humains et actés par eux dans un contexte social. (Vous voilà bien avancés, hein.) L'été est bourré de mèmeplexes : la plage, le camping, le 14 juillet, le tubedelété, le Tour de France. Le tout contenu dans le grand mèmeplexe occidental de l'été et et des vacances.
Et donc, chaque année, le fichu Tour de France passe et repasse et tourne et se répète, comme une putain de procession religieuse sur les routes de France et de Navarre et même d'ailleurs, maintenant que, summum de la pureté technoscientifique, ils font prendre l'avion aux vélos.
Et à chaque fois on nous fait le coup du Spectre du Dopage, et des soupçons, et des confessions, et des remords et des aveux (non, c'était pas au hasard, la procession…).
Cette année on a même eu droit au soupçon à rebours, et je me suis demandé, comme à chaque fois, mais qui est-ce qui croit encore à ces conneries, qui suit le Tour de France avec un esprit de sérieux, en croyant dur comme fer à l'effort, à la sueur, à la pédale et la route et à dieu sait quelles autres conneries qu'on fait avaler aux petits garçons pour qu'ils finissent bourrés d'epo sur des vélos comme personne ne peut s'en payer dans le monde réel ? Qui ?
D'où le temple Maya. Le Tour de France, c'est un mèmeplexe dont les participants ont raté l'entrée dans le 21ème siècle. Ils ne savent pas, les malheureux, que leurs coureurs sont déjà, depuis longtemps, des hommes augmentés. Ben oui. Augmentés de leur bicyclettes, depuis le début. Songez donc, tout de même, au temps pendant lequel l'homme n'en a pas eu, ou que ce soit sur la Terre, de vélocipède. Ça en fait, du temps et des hommes (et des femmes) qui ont marché à pied. Et voilà qu'il y a cent et quelques années à peine (j'ai la flemme de vérifier) d'autres gens, mais des gens tout de même, tous fiers de quelques milliers d'années de métallurgie et de mécanique, on eut eu l'idée géniale de la bicyclette, laquelle, quelques molécules et médias plus tard, est ce que l'on sait et sur quoi on a posé des questions à Pierre Bordage dans 20minutes.
Il a raison, Pierre Bordage, de dire que le dopage sera génétique, mais comme on ne lui pose pas la question, il ne dit pas ce que personne, d'ailleurs, ne dit jamais : qu'il manque au mèmeplexe du sport l'outil intellectuel d'analyse de son rapport avec la technique qui lui est pourtant consubtantielle. Et ça ne me gênerait pas plus que ça si chaque année, les mêmes chansons ne nous étaient pas chantées et rechantées avec un aplomb et un sérieux défiant toute concurrence…
Tous ces gens devraient avoir lu Mine de rien et le Weltraumball, me dis-je, songeant aux conversations que nous avions et où je répétais à chaque fois que tous ces braves sportifs n'avaient qu'à tous prendre la même chose et nous foutre la paix avec leurs tourments existentiels d'un autre siècle.
Et donc, c'est l'été, le Tour de France est terminé depuis un moment, les histories de dopages continuent mais tout le monde s'en fiche ou presque, il fait moins chaud que quand j'ai commencé ce billet il y a deux semaines. Lisez ou relisez le Weltraumball.
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