Pour:Assemblée nationale française
Mesdames et messieurs les députés,
Le 13 février, le Sénat a adopté une proposition de loi relative à l’exploitation numérique des livres indisponibles du XXe siècle que vous aviez approuvée en première lecture le 19 janvier.
Cette loi vise à rendre accessible sous forme numérique l’ensemble de la production littéraire française du XXe siècle dès lors que les œuvres ne sont plus exploitées commercialement. Elle prévoit que la BnF recenserait dans une banque de données publique l’ensemble desdites œuvres dont l’exploitation serait gérée par une Société de perception et de répartition des droits (SRPD) qui assurerait, de façon paritaire, une rémunération aux éditeurs et aux auteurs.
Vous allez être prochainement appelés à voter cette loi pour adoption définitive.
Après lecture attentive, il nous apparait que ce texte ne répond pas à l’objectif affiché de concilier la protection des auteurs et l’accès de tous aux ouvrages considérés comme introuvables. Au contraire il dévoie le droit d’auteur défini par le Code de la Propriété Intellectuelle, sans offrir la moindre garantie à tous les lecteurs de pouvoir accéder aux ouvrages dans des conditions raisonnables.
Il est entendu que, par « auteurs », nous désignons ici les écrivains, les traducteurs, les dessinateurs et les illustrateurs, auxquels sont évidemment liés leurs ayants droit.
Pour rappel, le droit d’auteur est inaliénable et confère aux auteurs et à leurs ayants droit la libre disposition de leur œuvre et de ses exploitations. C’est, entre autres, pour cette raison que vous avez statué sur le droit de copie et sur ce qu’il est convenu d’appeler piratage en matière d’œuvres numériques.
Selon le projet de loi, les auteurs ou ayants droit auraient obligation de s'opposer à l'inscription de leur œuvre sur la base de données, ce qui revient à effectuer une confiscation automatique de la propriété des auteurs et ayants droit, avec une possibilité très limitée de rétraction par les propriétaires légitimes des œuvres. Il s’agit donc d’une remise en question du droit d’auteur inaliénable.
Pour information, il est rarissime que l’indisponibilité d’un ouvrage ressortisse à la volonté délibérée de l’auteur ou de ses ayants droit. Dans une immense majorité des cas, elle est le fait des éditeurs auxquels les auteurs ont cédé le droit d’exploitation commerciale et qui ont cessé d’exploiter ce droit sans toutefois leur en rendre l’usage. Or, le projet de loi que vous allez réexaminer prévoit que l’éditeur en défaut de commercialisation bénéficie au même titre que l’auteur des dispositions de la loi.
Pour réflexion, il arrive également qu’un auteur ne souhaite pas que tel ou tel de ses ouvrages soient remis dans les circuits de diffusion, par exemple parce qu’il a depuis publié un autre ouvrage plus complet auquel la publication numérique du précédent ferait concurrence.
L’auteur seul – ou à défaut ses ayants droit – peut décider d’une nouvelle diffusion de son œuvre. Tout éditeur – numérique ou papier – qui souhaiterait exploiter son œuvre se doit en premier chef de lui proposer un contrat.
Pour comble, la facture générée par la collecte des données et les frais de fonctionnement des sociétés agréées aurait un coût important qui rejaillirait directement sur le prix de vente des ouvrages ainsi exploités et sur la rémunération des auteurs, entraînant l’un à la hausse et l’autre à la baisse.
En conclusion, bien que, en cette période pré-électorale, nous vous savons fort occupés par la multiplication des textes qui vous sont soumis, nous vous appelons à reconsidérer votre position, au regard des achoppements que nous vous exposons, et à rejeter purement et simplement cette proposition de loi qui ne ferait qu’instituer un piratage officiel et général des œuvres littéraires du XXe siècle sous la forme d’une atteinte sans précédent au droit de propriété, ici celui des auteurs.
Collectif d’auteurs « Le droit du serf »
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