lundi 19 février 2018

La vallée de l’étrange : cafards, chiens et autres robots.

Cette semaine, lorsqu’on était pas en train de se demander comment les Américains n’étaient pas encore allés en masse manisfester devant les bureaux de la NRA, on pouvait avoir peur des robots.



Un robot quadrupède, jaune et profilé comme un grille-pain, face à une porte qu’il ne peut pas ouvrir car il n’a ni bras ni de tête. Arrive un autre robot de même modèle, mais muni d’un bras supplémentaire à la place de la tête, qui ouvre la porte. Ça dure 45 secondes et c’est une pub pour Boston Dynamics, qui fabrique les bestioles.

Bizarrement, les rézosociaux ont eu peur mais ne se sont pas demandé comment les deux bestioles avaient réussi à faire preuve d’un comportement d’entraide, ou de collaboration. On est capable de faire ça ? Ça mériterait enquête mais si j’enquête je ne finirai pas ce billet, ahaha.

La sensation de malaise est plus facile à comprendre : les robots Spot Mini possèdent quatre membres, mais ils se terminent par des espèces de moignons en plastique qui n’ont rien de pattes, ils ont un corps calibré comme une boîte design, mais pas de tête, et nous qui en avons une, on aime pas ça. Ils sont en plein dans ce qu’on appelle la « vallée de l’étrange »  cet espace où une entité artificielle ressemble quasiment en tous points à un être vivant — mais les quelques points qui l’en différencient suffisent à la transformer en créature mystérieusement effrayante, surtout si en plus elle rappelle un insecte du genre blatte. Oh, mais tiens, justement, on en avait vu une, de quasi-blatte à quatre pattes sans tête, dans un épisode récent de Black Mirror.



Je ne suis pas hyper fan du côté « dystopique »,  comme on dit de nos jours, de Black Mirror, mais ça reste tout de même la « série » la plus appréciable qu’on ait vue récemment, d’une part à cause de la volonté affichée de se baser sur le monde tel qu’il est, et d’autre part parce que les épisodes sont indépendants et qu’on a donc affaire à des histoires complètes. Dans le cas de MetalHead, on a même une vraie chute, qui rachète quasiment l’épisode, très beau formellement, un peu pénible par son côté gros suspense/course poursuite. Quasiment, ça mériterait un article entier, mais je m’égare, j’avais un sujet en démarrant, ah oui, la vallée de l’étrange.

Il est vraiment magnifique, le robot-blatte chien sans tête qui vous arrose de marqueurs et vous poursuit dans un paysage de logiciel de dessin 3D en noir et blanc, j’ai beaucoup aimé.

Sinon, si vous préférez un peu de lecture (en anglais, je suis désolée, mais quelqu’un finira bien par vous traduire ça) il  y a Uncanny Valley, de Greg Egan sur Tor.com, où l'on peut lire parmi ce qui se fait de mieux en nouvelles anglophones. 

Dans Uncanny Valley, un homme s'éveille, non pas amnésique, mais dépourvu de toute connaissance de lui-même. Il s'appelle Adam et peu à peu découvre qu'il est la copie insérée dans un nouveau corps de celui qu'il appelle "le vieil homme". L'homme qu'il a été et qu'il n'est pas, car certains ses souvenirs ont été délibérément bloqués. Il enquête, et peu à peu, le portrait d'un homme qui fut un metteur en scène à la carrière brisée se dessine, avec ses erreurs, sa famille, son argent, son compagnon.  C'est un texte dans la veine de Learning to be me ou Transition dreams, mais avec une délicatesse dans la peinture d'une personnalité qui est non pas rare chez Egan, mais jamais exécutée avec autant de finesse. Il ne faut pas se laisser dire qu'il n'a aucun sens de l'humain — car c'est tout le contraire.

RECTIFICATIF ! la nouvelle de Greg Egan est en fait parue dans le n° 88 de Bifrost, spécial Greg Egan (dont j'ai dû lire le sommaire dans un univers parallèle). 

mardi 13 février 2018

(re)commençons par le commencement : la récap de 2017, les Utopiales.

Je fus bien occupée cette année.

Les tables rondes :

L'avenir du travail, avec Anne Larue, Richard Morgan, David Calvo

Esclaves du temps, avec Matt Suddain, Perig Pitrou, Valérie Mangin, Claude Ecken.

Photographie, Temps capturé, avec Antoine Mottier, Sara Doke,

La femme est-elle l'avenir du space-opéra ? , avec Becky Chambers,  Sylvie Lainé, Emma Newman, Laurence Suhner.

Le cours du soir :

Time Oddity, David Bowie et le temps, avec Antoine Mottier.

L'auteur et son ombre (modération) : Matt Suddain et Sara Doke



vendredi 28 octobre 2016

Et elle finit par écrire un billet de blog, ou presque...

Mon programme pour les Utopiales !


Samedi 29 octobre
– 15h Espace Shayol : Les machines traduiront-elles le futur ?
– 16h La Grande Librairie : Dédicaces
Dimanche 30 octobre
– 12h La Grande Librairie : Dédicaces
– 17h Espace Shayol : Les machines sont-elles nos esclaves ou … ?
– 18h Scène Hetzel : Technologies vs effondrement, 2 récits
Lundi 31 octobre
– 16h Scène Hetzel : Utopie et machines
– 17h La Grande Librairie : Dédicaces
Mardi 1er novembre
– 13h Agora de M. Spock : L’auteur et son ombre (avec Norman Spinrad)
– 14h La Grande Librairie : Dédicaces

dimanche 28 février 2016

Où l'on rend à Umberto Eco…

Je dois une nouvelle à Umberto Eco.
Une nouvelle qui s'appelait Après Champollion dans l'anthologie Escales sur l'horizon, parue en 1998, et qui s'est transformée en dyptique, La Saison des singes et l'Empire du Sommeil. Donc, je lui dois une nouvelle qui a en quelque sorte disparu — oui, je viens juste de m'en rendre compte.

Ce billet rentre donc dans la catégorie bien connue des réponses à la question : « et où trouvez-vous vos idées  ? », de même qu'à celle de « qu'est-ce qui reste du processus de naissance des idées vingt ans après ».
Je n'arrive absolument pas à me souvenir si j'ai vu le film, le Nom de la rose, au cinéma, wikipédia m'indique qu'il est sorti en décembre 86, époque où je me trouvais à Lyon. Par contre, je me souviens très bien que le livre faisait partie d'un certain nombre d'ouvrages dont je me suis séparée avant de déménager, l'année suivante.
J'avais décidé que ce roman m'énervait, qu'il était un gros machin destiné à rouler le lecteur dans la farine et je m'estimais grugée. J'aimerais bien retrouver comment j'en étais arrivée là, mais comme je n'ai pas relu le livre (ben oui, je l'ai vendu) depuis, c'est peine perdue. Avec le recul, je ne peux que conclure que c'était une de ces situations où, n'arrivant pas, allez savoir pourquoi, à admirer l'auteur, j'avais décider qu'il m'agaçait.
Notons néanmoins que bien qu'énervée, j'ai fait ensuite l'acquisition de l'Apostille au Nom de la rose, parce que j'imagine, je voulais en savoir un peu plus sur le fameux vers final et peut-être sur l'auteur, et sur l'écriture de gros  roman policiers médiévaux transformés en films avec Sean Connery. Je n'avais pas pris de notes, et internet n'existait pas. Ne jamais négliger le rôle de l'énervement et de la jeunesse dans la genèse des idées.

Stat rosa tenemus nomine, nomina nuda tenemus.
La rose d'origine n'existe plus que par son nom, nous ne possédons que de purs noms. (S'il existe une traduction exacte et un peu moins lourde, je prends.)
Nous sommes dans l'ubi sunt, le passage du temps, Villon, Ronsard, Rutebœuf.
Mais le nom nu, pour moi, c'était la séparation entre le signifié et le signifiant. Certes, une fois que le temps à fait son œuvre, il nous reste les mots qui désignent et invoquent les choses, mais les mots (le signifiant) et les choses (le signifié) ne forment couple, c'est à dire sens, que si d'une manière ou d'une autre, la liaison entre eux persiste.
Pour que le mot « banane » vous soit compréhensible, il faut que quelque part, dans le réel, le signe « banane » et le fruit soient liés, ne serait-ce que dans votre esprit, parce que vous avez vu soit une vraie banane, soit une image fidèle. Le signifiant et le signifié doivent être liés, quelque part, au-delà du texte pour que le texte fasse sens.

Mais que se passerait-il, justement, si pour une raison quelconque, certains mots se trouvaient privés de leur référent dans le monde réel ? S'ils restaient véritablement nus, des signes purs, en quelque sorte, sans rien pour les compléter ? Si le monde réel qui leur avait donné naissance à la chose avait repris ces choses, ne laissant plus que des signes qui seraient non pas de pur noms, mais comme des panneaux indicateurs qui ne pointeraient plus nulle part ? Les textes qui les contenaient resteraient-ils intelligibles ? Pour qui ? Comment ?

J'avais depuis longtemps envie d'écrire une histoire de vaisseau échoué et de gens naufragés sur une planète, totalement coupés de leur civilisation d'origine. Tout ça est dans les deux romans.
Les personnages sont donc arrivés après, l'idée de départ, je la dois à Bernard de Morlaix, un moine bénédictin du xiième siècle et à Umberto Eco, ce qui fait tout de même un fort joli voyage dans le temps.
Pendant vingt-cinq ans, je n'ai pas pris la peine de lire autre chose de cet estimable monsieur à qui je dois un texte que je considère comme l'un de mes meilleurs. Il faut dire que ses écrit sur le rôle du lecteur, passés à la moulinette du journalisme, m'ont plus d'une fois agacée, de même que ses réflexions sur l'internet.  Je n'aime pas, mais vraiment pas, que sous prétexte de sémiotique mal digérée on classe les lecteurs en bons et en mauvais.
Et je ne regrette pas de ne pas avoir lu Eco. Parce qu'il n'avait pas besoin de savoir si je l'avais lu, et parce que comme ça, il me reste des livres intéressants à découvrir, et que par les temps qui courent, ça devient difficile à trouver.
Quant aux idées et à leur origine, voilà ce qu'il en dit à la fin de l'Apostille : « … il existe des idées obsédantes, elles ne sont jamais personnelles, les livres parlent entre eux, et une véritable enquête policière doit prouver que les coupables, c'est nous. »





samedi 30 janvier 2016

In the chinks of their world machine…

As-tu déjà, ami lecteur, senti passer sur toi le vent de l'histoire ? Ça n'arrive pas souvent et c'est tant mieux, parce qu'en général, ça signifie qu'une guerre a été déclarée, ou que des avions se sont écrasés dans un building, ou qu'un mur est tombé. Tu vois ce que je veux dire.

Le titre de ce billet provient d'une nouvelle de James Tiptree, une écrivaine de SF que tu as peut-être lue, ou que tu devrais. Connu, entre autres choses, car utilisé par Sarah Le Fanu comme titre de son ouvrage sur les femmes dans la SF, In the chinks of the word machine, Feminism and Science-Fiction.

"In the chinks of your world machine" : dans les interstices de votre machine monde, parce que c'est là que les femmes vivent, pas là où elles voudraient mais là où elles peuvent, dans un monde construit et dirigé par et pour les hommes.
Sauf que là, depuis le début de l'année, j'ai l'impression que c'est nous tous, gens ordinaires et bien intentionnés, qui vivons de plus en plus dans les interstices de la machine monde qui nous dépasse et nous broie.

Comme dans cette chanson de Bowie, Slow Burn, sortie en 2002 mais écrite avant le 11 septembre.

"Here shall we live
In this terrible town
Where the price for our lives
Shall squeeze them tight like a fist
And the walls shall have eyes
And the doors shall have ears
But we'll dance in their dark
And they'll play with our lives"

Et donc, depuis le drôle de début de cette drôle d'année, la sensation qu'une page a été tournée, que les grandes roues dentées de l'histoire viennent de tourner d'un cran supplémentaire, que le 21ème siècle a vraiment commencé. Comme le 20ème en 1914, de façon tout aussi arbitraire et néanmoins tout aussi utile, quelque part, au sens où il est bon de savoir qu'on sait. Et je ne suis pas la seule à le sentir, la preuve :

La grande roue du climat, la plus évidente : si vous avez vu passer l'hiver, c'est que vous vivez je ne sais où sur la planète, parce que 2015 est officiellement l'année la plus chaude jamais enregistrée.
Norman Spinrad (sur Facebook) a posté un billet disant que nous avons dépassé le point de non retour, celui après quoi le climat est devenu chaotique, un machin imprévisible qui ne produit plus que des exceptions. Tout était déjà dans Bleue comme une orange, un bouquin paru en 1999, c'est pas comme si on n'avait pas prévenu…

Ce qui me conduit à la grande roue géo-politique, et là c'est compliqué et je ferais sans doute mieux de me taire, mais ici se trouve un article expliquant que les réfugiés syriens sont aussi des réfugiés climatiques. Entre 2007 et 2010, donc avant sa version du "printemps arabe" la Syrie a connu la plus grave sécheresse de la région, poussant plus d'un million de personnes à émigrer vers les villes. Six ans plus tard, toute la région est en train de s'effondrer/se recomposer et les lamentables rejetons de l'Etat Islamique viennent semer la mort jusque dans notre malheureuse Europe. À lire (en anglais, désolée), les témoignages d'auteurs et de journalistes syriens, cinq ans après, dans le Guardian.

Juste une citation d'un auteur palestinien, Raja Shehadeh : 

"Après la première guerre mondiale, les puissances européennes ont modelé le moyen-orient afin de servir leurs intérêts et les malheurs des peuples de la région ne se sont pas étendus aux pays occidentaux. Le moyen-orient a souffert pendant que l'Europe prospérait grâce au pétrole bon marché et à un marché sans précédent pour ses produits militaires et autres. Cette fois, les choses sont différentes. Non seulement un grand nombre de réfugiés cherchent asile en Europe, mais le terrorisme n'est plus un mal qui ne trouble que la vie des habitants de la région. Peut-être cela poussera-t-il les puissances occidentales qui en ont les moyens, à agir, directement ou par leurs intermédiaires, et à commencer à s'appliquer honnêtement à aider à mettre fin aux guerres qui ravagent le moyen-orient, et à permettre à la démocratie de s'y installer. "

Ça serait pas mal, oui. 
Mais on a un peu de mal à y croire. 
Rien que chez nous, voir notre gouvernement de soi-disant gauche foncer tête baissée dans tous les chiffons rouges que l'actualité lui présente a de quoi atterrer un peu. 

Pas qu'on s'attendait à les voir se comporter autrement que comme de braves politiciens de base, mais la déchéance de nationalité, sérieux ? Le genre de machin qu'on peut brandir sur le moment, dans l'émotion (on les paye pour utiliser leur l'intelligence, mais bon, ce ne sont que des humains, on veut bien faire avec…). 

Les terroristes sont inhumains et indignes de notre belle nation, montrons que nous ne voulons pas d'eux dans nos rangs bien alignés pour la guerre contre la barbarie, soit. 

Mais une fois l'émotion passée, une fois que le pays a arrêté de pleurer, ils étaient vraiment obligés de garder ce truc abherrant et inutile, sauf pour signaler à des gens qui se considèrent comme en dehors de toutes les règles de la société (parce que c'est ça, en partie, l'adhésion aux valeurs des islamistes radicaux : un moyen de trouver  une identité et des valeurs qu'on a pas trouvé dans la vie et la société normale) que nous non plus, tiens donc, on n'en veut pas, on les met dehors symboliquement, rien d'autre. Parce qu'en vrai, s'il y a d'autres attentats, les mecs seront morts avant d'être déchus, sans déconner, ça n'est pas donc à eux que ça s'adresse.
Non, la déchance de nationalité, c'est l'effet d'annonce à son apogée, le langage performatif absolu. Un verbe performatif, c'est un verbe dont l'énonciation revient à réaliser l'action qu'il exprime. Dans le cas de la déchéance de nationalité, c'est la république qui, sachant qu'elle ne peut empêcher la naissance de ces enfants terrifiants, les chasse préventivement et dit bien haut et bien fort : vous n'êtes pas des nôtres. La nationalité, cette fatalité magique qui transforme en citoyen tout le monde et n'importe qui, ne s'applique plus, préventivement, comme dans Minority Report.

Les politiques croient avoir répondu à désir du bon peuple. Le bon peuple se croit protégé, c'est du moins que disent les sondages. Qu'en pensent ceux qui se sentent déjà exclus ? 

À quoi pensent-ils, nos bons édiles, quand ils concoctent ce genre d'aberrations ? J'ai vu, au cours d'une émission traitant de l'actualité, un député socialiste prendre des accents tragiques et concernés en expliquant que l'état d'urgence devait être prolongé. 
Et le pire, ce n'était pas qu'il puisse penser que ça pouvait servir à quelque chose (ce doit être agaçant, d'être au pouvoir et de se rendre compte qu'on en a pas, de pouvoir), le pire, c'était qu'il voyait les grandes roues dentées de l'histoire tourner et qu'il était content d'être là et d'être en première ligne, et de jouer le rôle du mec qui sait ce qu'il faut faire et qui prendra les difficiles décisions qui font les hommes d'état.

Pensée mue par la peur et rien d'autre. Petits hommes qui se comportent comme si les grandes roues dentées de l'histoire les écrasaient, réduisant leur pensée à la mesquinerie de l'époque, alors qu'ils sont censés voir plus loin et penser plus large que vous et moi.

"But who are we
So small in times such as these…"

Bowie a écrit des quantités de textes surréalistes, au sens moins qu'évident,  et de temps à autre, ce genre de petits bijoux de concision.

Une autre roue de l'histoire en train de tourner, c'est celle des enfants du baby-boom et après, ceux qui ont créé le paysage culturel dans lequel des gens comme moi sont nés et ont grandi. Ces gens qui atteignent les 70 ans et qui vont disparaître, au moment où la civilisation et le mode de vie occidental peuvent à bon droit s'interroger sur le futur. 

Nous sommes les hommes et les femmes ordinaires et nous vivons dans les interstices de la grande machine monde, et nous regardons les puissants et nous avons la sensation que le 21ème siècle est vraiment là et que le vent de l'histoire souffle. 
Et qu'il est glacial. 







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